L'histoire, c'est elle qui emportait Eckhart. La puissance spirituelle s'inclinait peu à peu devant la puissance temporelle. Le temps n'était plus aux ambitions mystiques. Le monde regardait vers la terre. Le peuple avait faim et froid. Il ne voulait pas s'unir à Dieu mais nourrir ses enfants et les abriter sous un toit. Il n'attendait pas l'aide des frères mendiants qui lui proposaient des confessions, mais celle des laïcs qui lui promettaient du travail. Ce n'était pas l'archevêque le plus grand ennemi d'Eckhart, mais la déspiritualisation du monde.
Quelquefois, Antonin pensait que Dieu se foutait bien de la gueule du monde, comme s'il n'avait plus rien à y faire et que tout ça ne le concernait plus. Désintéressé de ses enfants confiés au grand orphelinat de la nature, avec charge pour elle de les élever comme elle pouvait. Voilà bien le monde, se disait Antonin, un grand orphelinat où l'on passait son temps à se demander pourquoi on avait été abandonné. Quant à la nature, Dieu l'avait créée en oubliant la tendresse en route, elle aimait « dur », si elle avait un cœur, ce dont on pouvait douter.
La vie est sèche, Antonin, c'est pour ça qu'il faut pleurer dessus. Pour qu'on puisse y faire pousser quelque chose.
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Il n’avait cessé de lutter contre lui-même pour protéger les siens, de surveiller ses paroles, sa conduite, ses décisions et de résister à ses propres ombres. Face à l’inquisiteur il avait enfin un adversaire extérieur à combattre, bénédiction que tous les hommes ne recevaient pas.
La puissance spirituelle s’inclinait peu à peu devant la puissance temporelle. Le temps n’était plus aux ambitions mystiques. Le monde regardait vers la terre. Le peuple avait faim et froid. Il ne voulait pas s’unir à Dieu mais nourrir ses enfants et les abriter sous un toit. Il n’attendait pas l’aide des frères mendiants qui lui proposaient des confessions, mais celle des laïcs qui lui promettaient du travail.
Dès que tu parles de Dieu, dès que tu le qualifies, tu le fais exister comme une créature. Et c’est cela dont il faut se séparer.
Le prieur lui avait dit qu’il fallait laisser les mots du maître faire leur chemin. La volonté de les comprendre les empêchait de trouver leur voie vers une compréhension plus subtile qui échappait à la raison.
La règle dominicaine voulait qu’aucune réponse ne soit précipitée, même si les mots arrivaient vite aux lèvres. L’humeur précède la réflexion, enseignaient les professeurs et l’humeur était la voix du diable.
Alors qu’Eckhart avait demandé à visiter la chapelle pour rendre grâce, le frère lui avait fait visiter les latrines parce qu’il devait, avant tout, apprendre que “l’homme était né entre les excréments et l’urine”
Parfois, il me semblait que la langue des femmes était parlée par le monde. Les beautés de la nature avaient leur voix. Nul besoin d’exercice ou de devoir. Pour les comprendre, il suffisait de les contempler.