Citations sur Le Tiers-instruit (19)
Le but de l'instruction est la fin de l'instruction, c'est-à-dire l'invention. L'invention est le seul acte intellectuel vrai, la seule action d'intelligence. Le reste ? Copie, tricherie, reproduction, paresse, convention, bataille, sommeil. Seule éveille la découverte. L'invention seule prouve qu'on pense vraiment la chose qu'on pense, quelle que soit la chose. Je pense donc j'invente, j'invente donc je pense : seule preuve qu'un savant travaille ou qu'un écrivain écrit.
Il faut fréquenter les bibliothèques, certes ; il convient, assurément, de se faire savant. Étudiez, travaillez, il en restera toujours quelque chose. Et après ? Pour qu'il existe un après, je veux dire quelque avenir qui dépasse la copie, sortez de la bibliothèque pour courir au grand air ; si vous demeurez dedans, vous n'écrirez jamais que des livres faits de livres. Ce savoir, excellent, concourt à l'instruction, mais celle-ci a pour but autre chose qu'elle-même. Dehors, vous courrez une autre chance.
On croit volontiers que la langue analysée par la grammaire et la philosophie vaut la langue vive inventée par l'écriture. Non. Le grammairien, le professeur, le philosophe n'écrivent pas assez pour savoir. Avez-vous remarqué, dans les classes, les écoles et les amphithéâtres, l'absence d'exercice vrai ? L'examinateur ou juge n'exige jamais poème, nouvelle, roman ni comédie, jamais de méditation, mais toujours de la critique ou de l'histoire, copie de copies. Pourquoi ? Parce qu'il ne saurait pas rédiger de corrigé. Au contraire, il exige histoire, critique, analyse. Pourquoi ? Parce qu'il peut et sait recopier. Pourquoi ? Pour la facilité. Faire explore, défaire exploite. Ne mentez pas, écrivez. Toute la vérité, mais rien qu'elle.
Rien ne donne plus le sens que de changer de sens.
Seulement quelques vivants jouissent d'un sexe alors que tout, dans le monde inerte ou vif, est muni d'un sens. Celui-ci va plus loin, plus profond, que celui-là. Gauche et droite se disent de plus de choses que mâle ou femelle et séparent plus universellement que le genre ne distingue.
Qui ne bouge n'apprend rien. Oui, pars, divise-toi en parts.
Séduire : conduire ailleurs. [...]
Partir. Sortir. Se laisser un jour séduire. Devenir plusieurs, braver l'extérieur, bifurquer ailleurs. Voici les trois premières étrangetés, les trois variétés d'altérité, les trois premières façons de s'exposer. Car il n'y a pas d'apprentissage sans exposition, souvent dangereuse, à l'autre. Je ne saurais jamais plus qui je suis, où je suis, d'où je viens, où je vais, par où passer. Je m'expose à autrui, aux étrangetés.
Apprendre : devenir gros des autres et de soi. Engendrement et métissage.
Seul la philosophie peut démontrer que la littérature va plus profond qu'elle.
Nous organisons méticuleusement un monde où seul le savoir canonisé régnera, espace qui risque de ressembler de près à la terre couverte de rats. Unifiée, folle, tragique, la science gagne, va bientôt régner, comme règne et gagne l'hiver. Excellent, le savoir, certes, mais comme le froid : quand il reste frais. Juste et utile, la science, assurément, mais comme la chaleur : si elle demeure douce. Qui nie l'utilité de la flamme et de la glace ? La science est bonne, qui le nie, et même, j'en suis sûr, mille fois meilleure que mille autres choses pourtant bonnes, mais si elle prétende qu'elle est seule et toute bonne, et qu'elle se conduise comme s'il en était ainsi, alors elle entre dans une dynamique de folie. La science deviendra sage quand elle retiendra elle-même de faire tout ce qu'elle peut faire.