Une famille trop présente

— Je ne suis pas gay, protesta-t-il d’une voix rauque.

Elle l’embrassa à nouveau, cette fois sur la tempe.

— Peut-être que si, mon chéri. Ne panique pas comme ça. Je sais que le code de l’Italien macho qu’ils ont programmé dans ton ADN est difficile à surmonter, alors laisse-moi être la première à t’informer qu’un homme gay peut aussi être très macho.

— Je ne sais pas si c’est ce que… je suis, insista Vince.

On aurait dit qu’il chouinait, il en avait conscience, mais non, quoi. Pas ça !

À sa grande surprise, Rachel s’énerva.

— Gay, Vincent ! Tu peux le dire sans être frappé par la foudre. Gay. G-A-Y. Gay !

Elle lui prit son verre de whisky et le vida d’un trait.

Le problème, c’était qu’avec la plupart des mecs, la frontière qui séparait le flirt de la baise était virtuelle. Mais Vince n’était pas n’importe quel mec. Ce n’était pas un inconnu que je venais de rencontrer. Je l’avais connu presque toute ma vie. Je pouvais lui faire confiance.

Soudain, j’avais la sensation de pouvoir braver le danger. Avoir des règles fermement établies et un partenaire en qui j’avais confiance m’ouvrait d’innombrables portes.

Je mis la main sur sa cuisse et il haussa un sourcil interrogateur.

— Pas de sexe, dis-je. Ça veut dire qu’on peut quand même flirter, non ?

Il me scruta pendant une longue seconde, comme si j’étais un pont duquel il n’était pas sûr de vouloir sauter. Enfin, il répondit d’une voix rauque :

— Oui.

Je scrutai les bouteilles. Une rage familière m’enveloppa comme un manteau taillé sur mesure. Toute ma vie, ça avait été ça : découvrir des bouteilles vides dans des tiroirs et des placards, dans des sacs, plus d’une fois dans le coffre de la voiture quand on en avait encore une. Cachées, mais pas très bien. J’aurais presque préféré qu’elle les laisse à la vue de tous, comme une sorte de défi. Quand j’étais plus jeune, je m’étais laissé convaincre par les thérapeutes que c’était un appel à l’aide. Désormais, je savais que c’étaient que des conneries. Elle ne voulait qu’une bonne excuse pour se défoncer. Si elle avait voulu de l’aide, elle l’aurait saisie quand mamie avait utilisé son épargne retraite pour l’envoyer en désintoxication la première fois. Ou quand elle avait hypothéqué la maison pour l’envoyer dans un centre encore plus cher la deuxième fois. Ou la troisième fois, dans ce centre qui avait surtout l’air d’un hôtel de luxe, pour lequel on avait sacrifié l’argent de mes études et hypothéqué la maison une seconde fois.

— Je suis gay, chuchota-t-il. Je l’ai toujours été. J’ai essayé de fuir, et c’est ce que j’ai fait toute ma vie. Je croyais que j’étais un raté, que quelque chose qui clochait chez moi m’empêchait d’être heureux. Sauf qu’avec toi, je suis heureux. Ce n’est pas seulement parce que tu es adorable, fort, sexy et merveilleux.

Il serra Trey contre lui, plus pour reprendre son équilibre qu’autre chose.

— C’est parce que pour la première fois, je suis moi-même. Toutes ces années, je me suis enfermé parce que je croyais qu’être gay était un péché. Aujourd’hui, c’est comme si je pouvais enfin dire au garçon de douze ans que j’ai été qu’il est parfait tel qu’il est.

Il relâcha un souffle tremblant.

— Je veux avoir une relation avec un homme. Avec toi. Je veux vraiment, vraiment arrêter de tout foirer.

Son cœur se brisa et des larmes qu’il n’avait pas eu conscience de retenir coulèrent de ses yeux.

— Je ne veux pas perdre ma famille.

Vincent Fierro était allongé sous l’évier d’un client, en train de dégager des épluchures d’oignons du broyeur, dans un appartement d’Aldine Street, lorsqu’il eut une révélation.

Et si j’étais gay ?

À cette pensée, il redressa vivement la tête et se cogna suffisamment fort contre la trappe de l’évier pour se faire une bosse. Il jura tout bas et fit de son mieux pour chasser cette idée inquiétante et se concentrer sur son travail. Malheureusement, même si ce dernier était pénible, il n’avait rien de compliqué. Alors elle revint dès qu’il l’eut chassée.

C’était idiot. Il n’était pas gay.

Il accusa les relents d’oignons et son ventre qui gargouillait, sans parler du fait que ça faisait un mois qu’il n’était sorti avec personne. Et il n’avait couché avec personne depuis que Cara Paglia l’avait ramené chez elle pour lui remonter le moral après son plus récent divorce, en octobre dernier. Ça faisait bien trop longtemps qu’il n’avait pas tiré un coup, à tel point que dépanner un couple gay et marié lui avait fait envisager pendant une seconde absurde que c’était ça, son problème, la raison pour laquelle il avait brisé le cœur de sa mama quand il avait divorcé pour la troisième fois. Peut-être qu’il cherchait du mauvais côté de la barrière.

C’est ce qu’on fait, avec l’espoir. Parce que ce n’est pas seulement un oiseau innocent. C’est plus grand que ça, c’est cruel, et si on le laisse grandir, il te détruira. Alors tu le tues vite, avant qu’il te tue toi.

— Trey, demanda-t-il d’une voix bourrue, est-ce que tu veux que je te suce ?

Je faillis jouir sur place.

— Oui.

J’étais tellement excité que j’en avais presque la nausée. Elle se mélangea au stress lorsqu’il prit le bord du pantalon et le descendit, cette fois jusqu’aux chevilles. Je l’aidai en le repoussant avec les pieds jusqu’à être nu depuis la taille. Je me sentais si exposé, si étrange, et très vulnérable. Puis Vinnie me regarda, me fit changer de position, me repoussa contre les coussins, écarta mes jambes pour me regarder, et caressa les côtés de mon aine avant de me prendre dans la main. Il me faisait oublier ma nervosité. Il ne faisait que m’exciter. Surtout lorsqu’il me touchait comme ça, montant la main jusqu’au gland, qu’il taquina du pouce. Il me caressa plusieurs fois, sans hésitation, mais sans brutalité non plus.

Puis il se pencha et me prit dans sa bouche.

Je poussai un cri et m’agrippai au canapé, car la force des sensations de cette chaleur humide me faisait tourner la tête.

Les autres clients commençaient à les regarder d’un air mal à l’aise. Pendant une demi-seconde, Vince se sentit mal. Puis sa mère reprit et il oublia tout le reste.

— Des règles ! Des règles pour vous protéger, vous guider ? Peut-être, oui. Les règles de l’Église, de Dieu.

— L’Église qui dit que mon amour pour Trey est un péché ?

Lisa leva les yeux au ciel.

— Arrête ! Ils disent la même chose au sujet de la contraception, et est-ce qu’on les écoute ?