"Voyons laquelle de vous trois m'aime le plus?"
Cruelle question que celle du roi Lear qui, à un âge plus qu'avancé, sent le royaume de Grande-Bretagne "peser sur ses épaules" et désire le partager entre ses filles.Gonerill et Regan, hypocrites, se voient récompensées contre la promesse de s'occuper de leur vieux père. Cordélia, la préférée surnommée "ma joie", se voit déshéritée pour sa franchise, car pour elle "l'amour est plus éloquent que sa parole". L'image et le paraître seront à nouveau mis en avant dans cette tragédie en V actes de
Shakespeare puisque, sans dot, le duc de Bourgogne "amoureux des richesses et des honneurs" refuse la main de Cordélia et que le roi de France, plus noble, de coeur l'accepte.
L'amour filial montrera alors son vrai visage: Regan et Gonerill se liguent peu à peu contre leur père qui devient fou et, qui abandonné ne s'aperçoit que tardivement de son erreur de jugement.Parallèlement, un complot divise le fils légitime Edmond et le bâtard Edgard (le traitre) du comte de Gloster pour s'emparer du trône.
L'amour fraternel tournera lui aussi à la haine avec empoisonnement et pendaison.
Shakespeare, poète, dramaturge et écrivain anglais génial du XVII° siècle utilise toujours les mêmes ficelles: double intrigue,opposition du bien et du mal (la noblesse de Cordélia et du comte de Kent "coeur pur" pourtant banni par le roi mais qui le protège en se déguisant affrontent la noirceur des complots, de la guerre et des perfidies multiples), l'ambition prend le pas sur la grandeur d'âme (comme dans
Macbeth), la jalousie fait éliminer un(e) rival(e) (comme dans
Othello) et la folie rôde (comme dans
Hamlet).
De nombreuses adaptations ont été faites de
le Roi Lear, jugé souvent trop noir. Ici l'originalité de cette version éditée chez
Actes Sud, en est la transcription résolument moderne de
Jacques Drillon. Journaliste au Nouvel Observateur et auteur de plusieurs ouvrages, il s'explique en préface de sa "trahison par révérence". Certains mots, effectivement, sont inattendus (ex:"petite frappe", "salopard","minable","reluque"..) ce qui est parfois gênant vu l'époque située bien avant Jésus Christ des faits qui ont inspiré cette tragédie.
Jacques Drillon explique toutefois , avec exemples à la clef (par exemple du même mot traduit de façon différente par neuf traducteurs) que loin d'être infidèle à
Shakespeare, il a voulu privilégier "la pureté du trait" et rendre à son théâtre "sa violence et sa rapidité".
Après avoir vu la semaine dernière une version ultramoderne et choquante de
Roméo et Juliette (qui aurait fait se retourner
Shakespeare dans sa tombe) cette "transcription pour la scène française" me paraît très valable car c'est vraiment du
Shakespeare avec riche registre émotionnel et prose poétique!