M'eût-on demandé s'il était plus facile d'en venir aux mains ou de faire l'amour, j'aurais penché naturellement pour la seconde hypothèse, mais aujourd'hui, allongée sur son lit, suffocante de haine, je me rendais compte que ma rancune était plus physique que mon amour, moins nébuleuse et moins défaitiste aussi. Elle mobilisait toute mon énergie tandis que je me blottissais sous la couette et passais ma colère sur les coussins moelleux, comme si c'était ses lèvres vomissant ces affreuses paroles, et je fermais obstinément les yeux pour ne pas voir ce révoltant spectacle, les meubles, les recoins de la chambre, les murs blancs et le tableau qui y était suspendu, une gigantesque grue noire et sinistre au-dessus des murailles, l'armoire entrebâillée et même les stores qu'on n'avait pas relevés depuis deux jours avaient été contaminés par ces paroles, ceux qui les avaient entendues, qui avait vu le sourire dément qui les encadrait, la bouche fendue jusqu'aux oreilles au point qu'une goutte de sang perlait aux commissures, tous ceux qui étaient là, humains ou objets, étaient souillés à jamais.
Elle aimait me réveiller le matin avec de mauvaises nouvelles, telle ou telle de ses connaissances était malade ou morte, les malheurs préoccupants ou passionnants de tel ou tel membre de la famille comblaitle désert de son existence, le vide qui avait suivi sa dépression après des années de deuil et de haine.Il y avait sûrement un mélange de jubilation et d'espoir, l'espoir insatiable d'élargir le cercle de ceux qui connaissaient les dures épreuves où elle était entrée à la mort du bébé, en refermant vivement la porte derrière elle, pour que papa ne puisse la suivre et la déposséder de son chagrin.
Vous savez, on m'a dit un jour que l'on devine toujours que l'on va se tromper mais qu'on ne peut pas s'en empêcher, ce qui est curieux, c'est l'importance de l'erreur, pas son existence.