«
le monde caché - Comment les champignons façonnent le monde et influencent nos vies » de Merlin Sheldrake (2021, First, 400 p.), n'est pas tout à fait un roman, ni un guide pour chercheurs de ces organismes, qu'ils soient unicellulaires comme les levures ou pluricellulaires comme les moisissures, et ceci jusqu'aux « champignons supérieurs ». Mais ces derniers sont le plus souvent dotés d'un pied et d'un chapeau, que le cueilleur averti récolte. C'est la grande famille des « fungi », le pluriel de « fungus » ou mycètes. Famille qui a sa place à part dans le monde des eucaryotes, organismes à noyau et cellules, qui se distinguent des bactéries et des archées, formant ainsi une troisième branche dans le grand arbre de la vie.
Merlin Sheldrake sait en principe de quoi il parle, étant biologiste à Cambridge. Il est célèbre pour ses travaux sur la botanique des forêts tropicales, y compris les plantes hallucinogènes, dont la préparation d'ayahuasca, (ou de yagé pour ceux qui sont vraiment addicts et ne peuvent pas attendre). Ceci dit, les effets secondaires et l'addiction à ce psychotrope sont bien plus puissants que le LSD, autre levure dérivée de l'ergot de seigle, dont
Carlo Rovelli, physicien théorique, grand spécialiste de la mécanique quantique, vante les bienfaits dans son approche de la théorie des cordes. A lire « Et si le temps n'existait pas ? », bonne introduction à la mécanique quantique (2021, Dunod, 192 p). Et surtout son prochain livre « Helgoland » (2021, Flammarion, 272 p) dans lequel il raconte ses expériences sous hallucinogènes. « Il était environ trois heures du matin lorsque le résultat de mes calculs apparut devant moi. Agité, je quittai la maison et me mis à marcher dans la nuit. Après avoir grimpé au sommet d'un rocher surplombant la mer, j'attendis le lever du soleil. J'étais profondément troublé. J'avais la sensation de regarder, à travers la surface des phénomènes, vers un intérieur d'une étrange beauté ». Melvin Sheldrake a lui aussi tenté ces expériences, qu'il raconte dans «
le Monde Caché ». « Allongé sur mon lit d'hôpital, les yeux fermés, je fus transporté en sous-sol, entouré de filaments qui s'entrecroisaient lors de leur croissance. […]. Des troupeaux d'animaux sphériques paissaient ; le tohu-bohu des racines des plantes [...]. le sol était un intestin sans fin exposé à l'air libre, partout la digestion et la récupération de ressources ; des hordes de bactéries surfaient sur les ondes d'impulsions électriques ; les systèmes météorologiques de la chimie ; des autoroutes souterraines ; une étreinte gluante et infectieuse ; de toute part les contacts intimes du grouillant... ». Ceci dit, je ne conseille pas de suivre ces expériences.
Pour en revenir aux champignons, c'est bien le terme qu'il convient puisqu'ils étaient sur terre bien avant nous et qu'ils seront encore là quand nous n'y seront plus. « Les champignons sont partout, mais il est facile de les manquer. Ils sont en vous et autour de vous. Ils rendent possible votre vie et ainsi que celle de tout ce dont vous dépendez ».
L'intérêt du livre est cependant tout autre. Au lieu de regarder les êtres du point de vue anthropocentrique, ou phytocentrisme (bien que ce ne soient ni des animaux, ni des plantes, l'auteur appréhende les fungi (levures, mycéliums, mycorhizes) comme des organismes en soi. Cela change radicalement la perception que l'on a des choses et des êtres. Et il ressort que leur complexité est grande, de même que leur variété, qui dépasse de loin les autres composants de l'arbre de vie. Cette complexité rend évidemment tous les modèles créationnistes et surtout évolution orientée tels l'« intelligent design » des cercles de réflexion conservateurs chrétiens américain », dans compter les modèles classiques d'évolution Darwinienne.
« Les rapports entre les plantes et les champignons mycorhiziens sont fondamentaux pour comprendre le fonctionnement des écosystèmes ». Surtout l'auteur montre, à travers diverses anecdotes, l'incroyable diversité des capacités des champignons. Prenons les hyphes, éléments végétatifs filamenteux, souvent multinucléaire, c'est-à-dire à plusieurs noyaux cellulaires. Et bien les hyphes d'« Armillaria » (l'armillaire classique, de couleur miel, d'où son nom, qui pousse sur le bois vivant ou mort en tant que parasite) transmet le courant électrique. Ainsi après avoir « inséré les microélectrodes dans les brins d'hyphes d'Armillaria, [on] détecte des impulsions de type potentiel d'action régulières, se déclenchant à une vitesse très proche de celle des neurones sensoriels des animaux – environ quatre impulsions par seconde, qui ont voyagé le long des hyphes à une vitesse d'au moins un demi-millimètre par seconde, environ dix fois plus rapide que le débit de fluide le plus rapide mesuré dans un hyphe fongique ».
De là à en faire des ordinateurs fongiques, il n'y a a qu'un pas. Ainsi il cite les travaux de Andrew Adamatzky, qui travaille sur des machines utilisant « Physarum polycephalum » qui pousse sur les écorces de certains arbres. Il en tire un livre « Advances in Physarum machines: Sensing and computing with slime mould» (2016, Springer, 839 p). Il va sans dire que ces études sur les fungi, surtout sur les interactions du mycélium, qui peuvent s'étendre sur plusieurs kilomètres, pourraient permettre de « développer des moyens d'utiliser les moisissures visqueuses comme capteurs et ordinateurs. Ces prototypes de bio-ordinateurs utilisent des moisissures visqueuses pour résoudre une série de problèmes géométriques. Les réseaux de moisissures visqueuses peuvent être modifiés, par exemple en coupant une connexion, pour altérer l'ensemble des « fonctions logiques » mises en oeuvre par le réseau ».
Le livre insiste surtout sur les relations, non pas entre des personnes comme le ferait n'importe quel auteur en SHS, mais sur les relations entre différentes formes de vie, sans entrer sur une quelconque compétition entre l'humain et le reste. Cela change agréablement des visions arboricoles du bonheur ou des câlineries prodiguées à nos animaux dits de compagnie.
A ce propos, il faut rappeler les livres de
Richard Dawkins dont «
le Gène Egoiste » (2003,
Odile Jacob, 200 p.) qui a popularisé la notion d'évolution après Darwin. Je parle plutôt de « The Extended Phenotype » (2016,
Oxford University Press, 496 p.) dans lequel il étend la notion de gène au phénotype, qui peut inclure plusieurs individus, et peut modifier le comportement et l'évolution de cet être. Héla, après cela,
Dawkins a tout d'abord milité pour l'athéisme, avant de sombrer dans le prosélytisme à tendance plus ou moins religieuse.
D'un point de vue plus pragmatique, le livre est divisé en 8 chapitres, après un prologue et une introduction « Qu'est-ce que ça fait d'être un champignon ? ». Il est suivi, heureusement d'ne important section bibliographique de 45 pages. A chaque fois, c'est presque un regard différent sur un aspect spécifique des fungi, du mycélium ou des réseaux radiculaires et les truffes, ou plus prosaïquement sur les lichens. Il se termine sur un intéressant « Comprendre les fungi ». Pour illustrer le tout, des photos et des dessins effectués à l'encre noire de coprins.