Nouvelles au fil du temps, tome 3 - (1981-1987) : Voile vers Byzance

C'est vendredi en fin d'après-midi, devant le Center de South Main, qu'Amanda repéra l'extraterrestre. Bien qu'il s'efforçât de passer inaperçu, de paraître le plus décontracté possible, il était quand même un tantinet désorienté et mal à l'aise.
Déguisé en jeune fille d'environ dix-sept ans, avec sa peau au teint olivâtre et des cheveux si foncés qu'ils en semblaient bleu marine, il avait l'air d'une Chicana ; mais Amanda, qui avait elle aussi dix-sept ans, était tout à fait à même de reconnaître un simulateur (...) Elle traversa la chaussée :
- Tu t'y prends mal, fit-elle. Il suffit d'un brin de jugeote, et on voit tout de suite qui tu es.
- Fiche-moi le camp, lança l'extraterrestre.
- Non, tu vas m'écouter. Tu veux échapper au centre de détention, oui ou non ?

(Début d'Amanda et l'extraterrestre ; ce récit, qui commence comme une nouvelle de Fredric Brown ou de Robert Sheckley, est une satire féroce d'une certaine jeunesse californienne)

Dans cette société d'un futur proche, les manipulations génétiques permettent aux "congloméroïdes" d'incroyables transformations physiques ...

Je suis tout à fait ce qu'il y a de contemporain. Je suis post-causal, anti-linéaire, pepto-moderne. En dehors de cela, point de salut, nespa ? C'est se condamner à n'être qu'un fossile. Le sens du caractère infini des potentialités, un état de disponibilité infinie, telle est la philosophie à avoir à notre époque de constante reconversion. Etre ouvert à toutes les possibilités, faire preuve de souplesse existentielle en toute circonstance.
Aussi, lorsque mon quasi-cousin Spinifex m'a appelé pour me dire : "Viens à ma foetus-party ce soir", ai-je accepté sans hésitation.

(Début de la nouvelle "Le cocktail congloméroïde". En quoi consiste cette foetus-party ? je ne vous le dirai pas, il faudra lire le recueil pour le savoir ! Je reviendrai sur cette "philosophie du changement", qui est un axe majeur de l'oeuvre de Silverberg)

Dans le domaine de la science-fiction américaine contemporaine; où des centaines de romans sont publiés chaque année et où la nouvelle n'a que peu de débouchés à sa disposition, très peu d'écrivains établis se soucient de produire des fictions courtes, et même les nouveaux venus ont tendance à se lancer le plus vite possible dans d'immenses trilogies.
Ecrire des nouvelles est franchement déraisonnable sur le plan financier. S'il continue à s'en écrire aujourd'hui, il faut que ce soit de façon désintéressée. L'argent à la clé est presque accessoire : on fait ça pour l'amour de l'art.
Ou, comme c'est mon cas, parce qu'on ne peut pas s'en empêcher.

(Cette citation est extraite de l'introduction au recueil, écrite par Silverberg lui-même et datée de 2003 : rien n'a changé depuis !)

L'enquête elle-même pouvait provoquer un déphasage pire que le précédent et bousiller irréparablement leur trame. Pénétrer le passé revient à sonder une toile d'araignée à l'aide d'une batte de base-ball : difficile de se montrer subtil ou délicat.
(dans "Une aiguille dans une meule de temps")

A cette époque de l'année, toute cette fichue ville (Los Angeles) risquait de se transformer en un énorme brasier. Il y avait des fois où il souhaitait presque que la chose arrive. Il haïssait cette Babylone de pacotille noyée dans le smog, son enchevêtrement démesuré d'autoroutes, les maisons bizarres, l'air pollué, la végétation luxuriantes qui envahissait tout, la drogue, l'alcoolisme, le taux de divorce, la paresse, la saleté, les sex-shops, les clubs de rencontres déshabillées et les salons de massage, tous ces gens bizarres qui portaient des fringues bizarres, conduisaient des voitures bizarres, arboraient des coupes de cheveux bizarres. Pour lui, tout ici transpirait la médiocrité et la vulgarité. Même les résidences grandioses et les restaurants chics étaient ainsi : des décors de cinéma à l'élégance superficielle.
(Dans "Contre Babylone")