-Dans les temps anciens, poursuit-il, cette épreuve aurait été plus facile à surmonter. Nous aurions imputé au souhait des dieux, ou à celui d'un dieu en particulier, la mort prématurée de Marcus sur une terre étrangère et hostile, et nous serions retournés à nos tâches, confortés dans l'assurance que les voies des dieux sont impénétrables, qu'il n'y a pas à chercher d'explication au-delà de celle bornée, qui dit que ce qui est arrivé devait arriver. Ces temps étaient plus simples. Aujourd'hui nous ne comptons plus sur les divinités ; nous avons le choix entre trouver nos propres explications ou nous passer d'explications. Je vous recommande vivement la deuxième alternative. La mort de Marcus était un accident.
L'amour et la gratitude sont deux choses différentes; on ne tombe pas amoureux en retour d'une aide reçue.
La seule chose raisonnablement certaine est qu'ils se sont lancés dans un voyage qui n'aura pas de retour.
Il nous manque toujours quelque chose, même dans la perfection. Et la conscience de ce manque nous pousse sans cesse à chercher à le combler.
C'est ce qui a causé les massacres et toutes ces atrocités – le sentiment, même chez nous ancêtres primitifs, que quelque chose devait être comblé, par n'importe quelles méthodes disponibles, si rudes fussent-elles. Nos méthodes se sont humanisées et ont gagné en efficacité au fur et à mesure que nous nous civilisions mais ce besoin, cette avidité, nous travaille encore. Et nous a maintenant poussé vers les étoiles pour affronter des mondes inconnus.
Pauvre vieille Terre ! Toute l'ancienne misère n'existe plus, presque toute la souffrance non plus. -Et pourtant cela ne va pas. La maladie et la famine sont vaincues. La vie est sur le point de devenir éternelle. La guerre ne se rencontre plus que dans les livres d'histoire, un phénomène anthropologique lointain, une étrange pratique obsolète de nos ancêtres, comme le cannibalisme ou la saignée. Et pourtant, cela ne va pas ! Je passe en revue tout ce que je sais de l'histoire humaine – et j'en sais beaucoup, vraiment, les pestes, les massacres, tous les épisodes de torture pratiquée par pur amusement, les grandes et médiocres bassesses, le catalogue complet des péchés que Sophocle, Shakespeare et Strindberg comprenaient si bien – et je me demande pourquoi nous ne nous réjouissons pas plus de ce que nous avons atteint. Je dois en conclure que nous sommes une race entreprenante, jamais satisfaite de rien, même du plus merveilleux état de satisfaction.
La race humaine, même si personne ne l'avouait ouvertement, travaillait, et en délicatesse, à sa propre mort.
- Oui, dit le capitaine, frémissant maintenant, son esprit pris dans le puissant tourbillon des antiques images. "Un grand loup avalera le soleil et un autre loup la lune. Les étoiles disparaîtront des cieux. Les arbres seront arrachés, et les montagnes s'effondreront, et toutes les entraves, tous les liens seront brisés et déchirés. La mer jaillira au-delà de ses limites, et le serpent Midgard se réveillera et viendra arroser l'air et l'eau de son venin, et le loup Fenris brisera ses chaînes et avancera, la gueule grande ouverte, la mâchoire inférieure contre la terre et la supérieure contre le ciel. La peur sera partout dans le monde. Car ce sera le jour où les dieux verront leur ruine."
Il s'arrête, la bataille titanesque finale se déroulant dans sa tête, Thor tuant le serpent mais mourant lui-même de son venin, et le loup dévorant Odin, juste avant d'être égorgé par Vidar, et le démoniaque Surtr jaillissant de Muspelheim et répandant le feu sur la Terre. Mais il ne dit plus un mot. Il trouve qu'il a suffisamment monopolisé l'attention. Et l'obscurité arctique a commencé à cerner son esprit. La glace, les ténèbres, les loups voraces s'abattant sur le monde en flammes. Et la Terre de ses ancêtres vikings est si lointaine, flottant dans le vide de la nuit, tournant éternellement sur son axe, quelque part derrière lui - un point, un grain de sable. Rien. Tout.
Seize années-lumière de la Terre aujourd'hui, cinquième mois du voyage, et l'implacable force d'accélération de l'hyperespace continue d'augmenter la vitesse du vaisseau spatial. Trois parties de Go sont en cours dans le salon du Wotan. Le capitaine élu pour l'année se tient sur le seuil de la pièce fortement éclairée, regardant distraitement les joueurs : Roy et Sylvia, Léon et Chang, Heinz et Elliot.