[...] ... En écoutant ces doléances, de Ritter faisait exprès de penser au gamin avec qui, dans la cour, il passait des après-midi d'août à jouer au billard en prenant des airs de grand.
- "Quelle genre de femme croyez-vous que ce soit, vous ? Elle en veut à son argent, n'est-ce pas ? Comme je connais Albert, elle aura tout ce qu'elle voudra. C'est pourquoi je voudrais vous demander conseil."
C'est alors qu'une idée lui était passée par la tête.
- "Je pourrais peut-être lui parler," fit-il. "C'est une aventurière, évidemment, et je crains qu'elle soit gourmande ...
- Que voulez-vous dire ?
- Qu'étant en mesure de soutirer de l'argent à votre mari, elle en réclamera pour le quitter ...
- Et si je lui en donnais ? ...
- Vous avez de l'argent à vous ?
- J'en demanderai à mon père ... Il est assez riche ... C'est à lui la brasserie des Moulins ...."
C'en devenait hallucinant.
- "Alors, vous avez un frère !" ne put-il s'empêcher de s'exclamer.
- Fernand, oui. Il est mort d'une bronchite qu'il n'a pas voulu soigner ..."
Encore un mort ! De Ritter avait été à l'école avec Fernand aussi, le fils du brasseur, et il ignorait qu'il avait une soeur, pour la bonne raison qu'elle avait quatre ou cinq ans de moins, c'est-à-dire qu'elle n'était qu'une toute petite fille !
- "Il faudrait que je puisse lui proposer au moins dix-mille francs.
- Je les aurai demain ... Si elle consent à partir ..." ... [...]
[...] ... De fil en aiguille, sans passion, il lui avait proposé de partir avec lui. Depuis ce moment-là, elle l'observait. Il ne faisait pas un geste qu'elle n'enregistrât automatiquement. Elle pensait sans cesse à lui, au ralenti, essayait peu à peu de se faire une opinion.
- "L'hôtelier a commencé à te faire la cour ?" questionna-t-il soudain en levant le nez de son journal.
- Ca y sera quand je voudrai ... Il est toujours sur mon passage ... Tout à l'heure, il est entré dans ma chambre comme j'étais à moitié déshabillée ... Qu'est-ce que tu veux que j'en fasse ?
- Tu crois qu'il n'a pas d'argent ? Sache que l'hôtel existait déjà du temps de son grand-père et il y avait des écuries pour les chevaux. J'étais tout petit que ma mère me parlait des Tihon et de leur fortune ...
- Sa femme s'apercevra de quelque chose ..." soupira Léa.
- "Et après ?"
Elle eut l'impression qu'il venait de lui révéler quelque chose. Elle ne savait pas au juste quoi mais elle le sentait amer, méchant, rageur.
- "Il t'a fait quelque chose ?
- Qu'est-ce qu'il m'aurait fait ? Il a de l'argent, un point c'est tout, et nous en avons besoin. Tu as compris à présent.
- Non !"
Elle se disait que Fredo avait raison : de Ritter était un amateur. Toutes ces histoires n'étaient pas régulières. Elle avait beau se raisonner, elle ressentait une inquiétude vague.
- "C'est une drôle d'idée d'être venu faire ça dans ta ville !" s'obstina-t-elle en vidant son verre de bière.
Elle n'en démordait pas. N'importe où sauf là ! C'est comme si, elle, allait se mettre en maison à Valenciennes, où elle était née, quitte à voir défiler des gens avec qui elle avait joué dans la rue. ... [...]