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Critique de Woland


Cette fois, c'est un peu par curiosité, un peu par gourmandise que Maigret va se retrouver mêlé à une affaire qu'il élucidera ... du fond de son lit. En effet, tenté par les promesses de truffes et de pêche au saumon d'un ancien collègue, Leduc, qui a pris sa retraite en Dordogne, voilà notre commissaire qui grimpe dans un train de nuit pour le sud de la France. Visiblement, son voisin de couchette - il occupe juste celle du dessus - n'est pas dans son assiette. Maigret ne parviendra jamais à discerner ses traits, signalons-le. Toute la nuit, le malheureux tourne, vire, se retourne, soupire, pleure même. Mais le pire se produit au matin, un petit matin grisâtre où un Maigret encore mal réveillé - et qui a très mal dormi - voit l'inconnu descendre en vitesse de sa couchette et se ruer dans le couloir. Là, il se précipite sur une portière, la débloque et hop ! saute dans le virage, juste au moment où le train ralentit. A croire que l'individu avait prévu ce changement de vitesse qui lui permet de ne pas être broyé ... Ne réfléchissant pas un instant - ou alors réfléchissant comme un flic - Maigret ne fait ni une, ni deux et saute aussi. Seulement, l'homme qu'il poursuit, se retournant, lui tire dessus et le touche à l'épaule ! ...

Je vous passe les quelques moments désagréables où le Parquet du coin, flanqué de la police locale et d'un petit cercle de notables s'en viennent défiler devant un Maigret complètement dans les vapes parce qu'il est sur le point d'avoir une artère recousue par un chirurgien plutôt préoccupé par la blessure. Guillerets et soulagés, ces messieurs sont en effet tous persuadés qu'ils tiennent enfin celui que la presse a surnommé "le fou de Bergerac", un obsédé sexuel qui s'est attaqué à deux ou trois femmes. le temps que Maigret, sortie d'anesthésie, reprenne ses esprits et demande à ce qu'on téléphone à la P. J. de Paris - il avait sauté bêtement, sans songer à se munir de ses papiers d'identité - et, dans la foulée, à une Mme Maigret qui l'attendait en Alsace, tout rentre dans l'ordre et le commissaire se voit transporté, avec moult formulations de regrets et excuses diverses, au meilleur hôtel de Bergerac, dans une chambre que sa femme entreprend de ranger et de ranger à nouveau car, nous le savons depuis longtemps, elle déteste rester inactive.

C'est de cette chambre qui, par un heureux hasard, donne en plein sur la place centrale, et plus précisément de ce lit où l'immobilisent à moitié tantôt son encombrant pansement, tantôt la fièvre, que le commissaire va résoudre l'Affaire du Fou de Bergerac.

L'idée de prendre son limier favori, de l'enfermer pour un temps, pour une raison ou pour une autre, dans une chambre ou un appartement quelconque, à charge pour lui d'utiliser les fameuses petites "cellules grises" si prisées du grand Hercule Poirot - qui est belge, soulignons-le, Simenon aurait apprécié - pour résoudre une énigme particulièrement complexe et où les suspects se bousculent au portillon, a toujours beaucoup plu - et plaît toujours autant aujourd'hui - aux auteurs de romans policiers, quelle que soit leur nationalité. Sans doute considèrent-ils la chose comme une espèce d'Himalaya au sein des paris littéraires qu'ils se lancent à eux-mêmes. Et puis, que voulez-vous, ça change un peu l'atmosphère et encore plus les réactions du limier choisi pour cobaye. Cela permet d'étudier des pans entiers de son caractère qui, dans une enquête administrative toute bête, ne se feraient pas remarquer plus que d'habitude. On serait presque tenté de dire que, pour l'auteur, il y a là une légère ambiance de vacances - et d'amusement.

Pour l'éditeur par contre, le projet de placer Maigret, partagé entre une fièvre entêtante et l'action de médicaments prescrits à dose de cheval, dans un lit de malade, pour résoudre une énigme qui met en scène un obsédé sexuel, n'est peut-être pas une idée de génie. Mais enfin, quand on tire à autant d'exemplaires que le tandem Simenon-Maigret, on peut se permettre quelques caprices.

Pour le lecteur, ma foi, "Le Fou de Bergerac" est plutôt une bonne surprise. Ce n'est certainement pas le meilleur des Maigret mais enfin, ce petit roman sympathique et frais se lit vite et bien. D'autant que l'auteur n'a pas lésiné sur la sauce pour relever telle ou telle situation et animer au maximum ce qui risquait de sombrer dans l'énumération engourdie des cogitations d'un malade. Nous avons déjà évoqué le "piège" auquel Maigret échappe après son arrivée à l'Hôpital de Bergerac mais il faut aussi signaler la façon qu'il a de déléguer certains de ses pouvoirs d'enquêteur à une Mme Maigret résignée mais absolument révoltée par ce qu'elle découvre. Et n'oublions pas la malice avec laquelle il fait enrager le pauvre Leduc en le plaçant, lui aussi, au rang des suspects sous prétexte qu'il a une aventure avec la nièce de sa femme de ménage. Quant au défilé des notables au chevet du commissaire réintégré dans ses titres et fonctions, un défilé mi-ennuyé (la gaffe, tout de même, de l'avoir pris, lui, le commissaire divisionnaire, pour "le Fou de Bergerac" ! ), mi-exaspéré (mais quand va-t-il guérir et surtout, quand tirera-t-il sa révérence ?), cela tient de la jouissance pure, tant pour Maigret que pour le lecteur. Parce que, bien entendu, à force de cogiter entre ses deux oreillers bien rembourrés tout en regardant par la fenêtre les uns et les autres aller et venir sur la place, Maigret, si tenu à l'immobilité qu'il soit, ne peut s'empêcher de mettre ses grosses chaussures là où il ne devrait pas - et dans des endroits et sur des faits qui n'ont aucun, mais alors là aucun rapport avec "le Fou." Bref, Maigret bat joyeusement la lessive de toute la petite ville peureuse et le moins que l'on puisse dire, c'est que les notables ne sont pas à la fête.

Un bon petit moment à passer. Si vous n'avez pas d'autre "Maigret" sous la main et si vous n'avez pas envie de vous plonger dans les grandes tragédies simenoniennes, bien sûr. ;o)
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