Quand, plus tard, Maigret penserait à cette enquête-là, ce serait toujours comme à quelque chose d'un peu anormal, s'associant dans son esprit à ces maladies qui ne se déclarent pas franchement, mais commencent par des malaises vagues, des pincements, des symptômes trop bénins pour qu'on accepte d'y prêter attention.
[...] ... Tout de sutie, il avait remarqué l'air inquiet de sa femme. Parlant bas, à cause des portes ouvertes, il avait demandé :
- "Il attend toujours ?
- Il est parti.
- Tu ne sais pas ce qu'il voulait ?
- Il ne me l'a pas dit."
Si ce n'avait été l'attitude de Mme Maigret, il aurait haussé les épaules en grommelant :
- "Bon débarras !"
Mais, au lieu de rentrer dans sa cuisine et de servir le déjeuner, elle le suivait dans la salle-à-manger avec la mine de quelqu'un qui a besoin de se faire pardonner.
- "Tu es allé dans le salon, ce matin ?" questionna-t-elle enfin.
- "Moi ? Non. Pourquoi ?"
Pourquoi, en effet, serait-il entré dans le salon, qu'il avait en horreur, avant de se rendre à son bureau ?
- "Il me semblait bien.
- Alors ?
- Rien. J'essayais de me souvenir. J'ai regardé dans le tiroir.
- Quel tiroir ?
- Celui où tu ranges ton revolver d'Amérique." ... [...]
L’homme était peut-être malade, mais pas au point, lui semblait-il, de s’écraser sur son lit comme une grosse larve, pas au point d’avoir ces yeux larmoyants, ces lèvres molles de bébé qui va pleurer.
Enfin elle laissa tomber, avec un ennui sans espoir :
— Troisième à gauche au fond de la cour.
— Il est chez lui ?
Ce n’était pas de l’ennui, mais de l’indifférence, peut-être du mépris, peut-être même de la haine pour tout ce qui existait en dehors de son aquarium.
’elle était si humble et qu’elle regardait son mari comme pour le remercier de l’avoir épousée ?