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Critique de dido600


L'écluse numéro 1 de Georges Simenon est une histoire fortement marquée par le désordre familial.
Deux hommes sont repêchés de la Seine : le vieux Gassin, saoul comme d'habitude, tombé par accident ; et le riche Émile Ducrau, qui aurait été poussé par un agresseur qu'il refuse d'identifier.
Gassin, un veuf, employé et plus vieil ami de Ducrau, vit avec sa fille Aline, une attardée mentale, qui soigne un bébé dont les origines sont incertaines.
Ducrau, lui, c'est le patron, un dur de dur qui vaut quarante millions et s'est fait lui-même. le type d'hommes auquel l'auteur s'identifiait. Ducrau tyrannise tous ceux qui l'entourent. Il n'est pas sans signification que la grande majorité des personnages de dirigeants sont des despotes chez Simenon.
L'enquête de Maigret lui permet de découvrir la petite famille de Ducrau.
Ducrau traite sa femme, Jeanne, comme une servante, ses servantes comme des putes et les putes comme du poisson pourri. Maigret se comporte un peu en Juda lorsqu'il raconte que le moral de Jeanne n'est pas influencé par les mauvais traitements que lui fait subir son mari. Maigret lui-même ne traite pas sa femme comme ça et Mme Maigret est plus gaie et pimpante que Jeanne Ducrau. Ducrau se plaint de ce que sa femme n'ait pas évolué avec son statut social, mais lui-même est resté un grossier sauvage. Que ferait-il avec une épouse distinguée ? Jeanne Ducrau appartient à une sous-catégorie des femmes honorables : les épouses laides et stupides.
Émile Ducrau a une fille et un fils.
Berthe, la fille, a épousé Decharme, un capitaine de l'armée et les deux sont joyeusement torpillés par l'auteur. Berthe, décrite comme une femme intéressée, et son mari, présenté comme un incapable, se chamaillent continuellement. Mais comme d'habitude chez Simenon il s'agit de beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Les Decharme ont beau se disputer, il n'est pas question de divorce entre eux. Berthe Ducrau est mariée et bien mariée, parce que indépendamment de la description subjective que l'auteur peut faire de Decharme, un officier de l'armée est l'équivalent d'un fonctionnaire, c'est-à-dire une personne qui a un emploi stable et une retraite à la fin de sa carrière. C'est aussi bien d'épouser un officier qu'une fille de notaire de province comme celle qu'épouse Ferdinand Graux dans le Blanc à lunettes. Il faut se rappeler que les mères de familles sont aussi beaucoup calomniées, chez Simenon mais, tout compte fait, elles sont préférées aux putes. Voir aussi Groult-Cotelle dans L'inspecteur Cadavre.
Jean, le fils d'Émile, inquiète son père du point de vue de ses moeurs. Simenon laisse voir ses propres fantasmes. Il affichait très fortement sa virilité et une des terreurs d'un homme viril est d'avoir un fils mal portant et efféminé. Jean, qui s'intéresse à la fille de Gassin, se suicide parce qu'il croyait que son père avait attaqué Aline.
On complète le portrait de famille en parlant des nombreuses "maîtresses" du patron. Non seulement toutes les servantes couchent avec Ducrau, mais en plus il loge une maîtresse et fréquente le lupanar du coin. Ducrau est un homme de gros appétits et le nombre de ses "conquêtes" est à la mesure de son mépris. Il n'a pas plus de respect pour les unes que pour les autres. La manie de Ducrau de tromper sa femme semble considérée normale par Simenon et Maigret, alors que les femmes infidèles sont traitées avec beaucoup moins de gentillesse.
Pour les affaires, Ducrau a une sorte de bras droit, M. Jaspar, qu'il brutalise comme les autres personnes de son entourage. C'est un genre de relation patron-employé que l'on retrouve dans plusieurs romans de Simenon, comme Maigret et le marchand de vin, le Bourgmestre de Furnes, Un échec de Maigret et où transparaît la misanthropie et l'égocentrisme de l'auteur.
Le drame éclate parmi ces gens à cause de l'inconduite de Ducrau. Celui-ci est le vrai père d'Aline Gassin et on observe bien que sans ce fait aucun des autres drames du roman ne se serait produit. Si Aline Gassin n'existait pas, Gassin ne tenterait pas d'assassiner Ducrau, Jean Ducrau ne se serait pas intéressé à elle et ne se serait pas suicidé, Bébert l'éclusier n'aurait pas pu lui faire un enfant et Ducrau n'aurait pas tué Bébert.
Le problème d'ordre moral est central dans cette histoire. Au dix-neuvième siècle la légitimité des enfants était considérée comme essentielle et la fidélité des épouses primordiale. Ducrau est coupable d'avoir couché avec la femme de Gassin, ce n'est pas respecter la famille, ni l'amitié.
Gassin, lui, est pris dans un cercle vicieux. En tant que mari trompé il veut tuer Ducrau, mais en tant qu'inférieur il n'en a pas le droit, il se suicide pour échapper au dilemme.
Les deux méchants sont punis dans ce roman, Ducrau perd son fils et finit en prison. Bébert, qui a fait un enfant à Aline sans être marié est assassiné par Ducrau. Souvent on ne voit pas de lien direct entre la punition et le crime, c'est que les auteurs de fiction ont la liberté de créer tous les événements qu'ils veulent. Aussi bien chez Simenon, que chez Agatha Christie ou Dashiell Hammett, au cinéma ou à la télévision, les coupables peuvent être victimes d'accidents ou de crimes, mourir de maladie, sombrer dans la ruine, l'alcool ou la drogue.

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