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Critique de Woland


Glaçant. Comme quoi on peut créer une banquise dans un roman policier sans y faire intervenir aucun psychopathe . Simenon, nous le savons, excellait en ce domaine mais ici, il prend son temps, paresse même, semble s'amuser à accumuler les détails les plus noirs et nous laisse encore frissonnants et un peu "sonnés" alors qu'on vient de tourner la dernière page.

A l'origine, la mort de Léonard Lachaume, fils aîné de la famille Lachaume dont la Biscuiterie fut fondée en 1817, ainsi que le rappelle l'inscription sur la cheminée de l'usine, derrière la maison sise quai de la Gare, à Ivry. Il est mort d'une balle de calibre .6,35, on l'a retrouvé effondré sur son lit et sa famille est en deuil ... Enfin, ce qui est curieux, c'est que, justement, lorsque Maigret arrive sur les lieux du drame, la famille est disséminée un peu partout dans la vaste maison. Il y a d'abord le père et la mère du mort, lui encore assez alerte, elle nettement plus handicapée, qui se soutiennent le moral (que feraient-ils d'autre ? ) dans une pièce. Puis le frère, Armand, une santé fragile, qui guide Maigret comme le ferait le responsable (très pincé) d'un musée et réclame d'office l'assistance d'un avocat. On aperçoit aussi Paulette, l'épouse d'Armand, une jolie femme à la mine un peu embarrassée. le fils du mort, Jean-Paul, un collégien de douze ans à peu près, est ... au collège, cela va de soi. D'ailleurs, pour qu'il ne soit pas trop choqué, on va l'y installer comme interne dès la fin de la journée. Ah ! oui, il y a aussi l'antique servante à demi-bossue, Catherine, qui rôde au milieu de tout ça avec des airs de sorcière agacée de voir tout le monde marcher sur plates-bandes d'herbes spéciales.

A l'extérieur, si l'on peut dire, outre Maigret, le médecin-légiste, le sémillant Dr Paul, et un tout jeune juge d'instruction dénommé Angelot - ça ne s'invente pas - lequel fait comprendre, poliment mais clairement, au commissaire qu'il est prêt à prendre, question spécialité de la mise de bâtons dans les roues, la succession du juge Coméliau, désormais en retraite.

Et tout ça dans une maison effrayante, énorme, vaste, une espèce de croisement entre celle des "Héritiers du Majorat" d'Achim von Arnim et la "Malpertuis" de Jean Ray. Une maison triste, glacée, avec de tous petits poêles au milieu de pièces trop grandes, des tentures moisies mais qui furent belles dans leur jeune temps, d'assez beaux meubles Empire qu'on a malheureusement recouverts de tissus plus modernes mais qui ne leur conviennent pas et une ambiance mortifère, une torpeur qui sommeille partout mais qui donne, parfois, l'impression bizarre d'écouter ou de se déplacer. Une maison morte et pourtant vivante. Une maison incroyable sur laquelle on ne se pose qu'une question : comment se fait-il qu'il n'y ait pas eu plus de morts depuis plus d'un siècle-et-demi qu'elle existe ? ...

Simenon, précisons-le, s'en tiendra, en tous cas dans la maison-même, à un seul mort, ce fameux Léonard dont on finit par apprendre qu'il a été marié, puis veuf et qui, pour terminer, compte tenu de la "maladie" de son frère, Armand, a fait des avances à sa belle-soeur, Paulette. Paulette, née Zuber, fille et héritière d'un marchand de peausseries qui lui a légué plus de trois-cents millions de l'époque (la fin des années cinquante). Paulette qui, depuis son mariage, qu'elle a accepté pour accéder à la haute bourgeoisie - tout moisi et verdi qu'il est devenu, le nom des Lachaume fait toujours son petit effet dans une certaine société - tire sur sa fortune pour faire vivre la maison, la belle-famille et la biscuiterie.

Gêné par la volonté du juge Angelot de voir les interrogatoires menés dans son bureau à lui, exaspéré par les interventions d'un avocat dont il apprend tout de même qu'il est avant tout celui de Paulette et non de sa belle-famille, Maigret tourne en rond dans sa tête et cherche des moyens, peut-être limites mais toujours légaux, pour mener son enquête à bien, malgré tous les obstacles que dressent devant lui non seulement les Lachaume, soudés en un bloc résolu bien qu'un peu vacillant, mais aussi un juge d'instruction qui s'imagine tout savoir parce qu'il connaît sa théorie par coeur.

"Maigret & les Témoins Récalcitrants" est une histoire simple et prévisible. L'astuce de Simenon est d'emprunter ici des chemins qui ne permettent pas au lecteur de la saisir aussi facilement que d'habitude. Mention spéciale pour le personnage, très sympathique (et extérieur lui aussi à la maison qui l'a vu naître), de Véronique Lachaume, laquelle rayonne littéralement même si, sur le plan amoureux, elle ne peut se targuer d'avoir la chance qu'elle mériterait. Un personnage qui réchauffe un peu cette intrigue noire et comme recouverte d'une suie grasse et dont on a bien du mal à se débarrasser - une suie qui ne vient pas de la maison Lachaume, si impressionnante qu'elle soit, mais bel et bien de la nature de ceux qui ont choisi d'y vivre à jamais. Finalement, la maison, cette pauvre maison où spectres et créatures de l'ombre se sentiraient si bien, est à l'image de certains protagonistes de ce récit : une victime de l'"esprit" Lachaume. ;o)
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