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Critique de Woland


Woland
07 décembre 2014
L'une des enquêtes les plus lumineuses de Maigret car l'action se situe sur la petite île de Porquerolles. Pourtant, tout débute dans les locaux de la P. J., dans un Paris encore hivernal où il pleut absolument dans tous les arrondissements. Qui pis est, le "Grand Patron", en voyage officiel en Grande-Bretagne, a eu l'idée baroque de convier un inspecteur de Scotland Yard, Mr Pyke, à venir étudier de visu les "méthodes" du fameux commissaire Maigret. Seulement, ces "méthodes" dont l'intéressé n'a d'ailleurs lui-même que de très vagues idées, encore faut-il une affaire digne de ce nom pour pouvoir les appliquer. Or, comme de bien entendu, Mr Pyke est à peine là depuis quelques jours que rien, si ce n'est la routine la plus banale, ne fait mine de vouloir se manifester dans le bureau de Maigret.

Jusqu'au coup de fil de l'inspecteur Lechat. Maigret l'a jadis rencontré à Luçon - vous vous rappelez son exil, du sôté de l'Aiguillon, avec l'ineffable Didine et "La Maison du Juge" ? - mais Lechat a désormais été muté dans le Sud, du côté de Cannes, Hyères et ... Porquerolles, cette petite île où l'on vient de retrouver le cadavre défiguré d'un certain Marcellin, mieux connu de Maigret sous le nom de Marcel Pacaud. Un demi-sel sans grande envergure, qui s'était rangé des voitures depuis bien longtemps et qui coulait des jours paisibles (anisette, pêche, pétanque journalière, siestes ...) à Porquerolles. Curieusement, la veille de sa mort, à "L'Arche", où tout le petit monde nocturne de Porquerolles a pour habitude de venir boire un ou plusieurs verres avant d'aller se coucher, Marcellin, on ne sait plus très bien à quel sujet précis, s'était vanté maintes fois de connaître le commissaire, qu'il appelait même "mon ami, Maigret" ...

Qu'il s'agisse du Parquet, de la police ou de l'opinion publique, tout le monde en a conclu que l'assassinat de Marcellin avait pour seul mobile cette assurance qu'il connaissait bien Maigret. Et voilà donc Maigret, flanqué d'un Mr Pyke qu'il va apprendre à apprécier et à aimer, qui monte dans le Train Bleu en direction de Nice ou de Cannes pour embarquer pour Porquerolles.

Voilà aussi Maigret bien obligé de faire montre de ses fameuses méthodes. Dans un lieu comme Porquerolles, où le soleil et l'indolence lui coupent toute envie de travailler, ce n'est pas évident. Cependant, peu à peu, le commissaire prend le vent (même si le mistral, qui soufflait encore comme un fou la veille du décès de Marcellin, est tombé), hume en direction des clients de "L'Arche", vers Charlot le Caïd par exemple, puis vers la clientèle un peu plus "huppée" comme cette Mrs Wilcox, de nationalité britannique, qui partage sa vie entre son yacht et l'île, toujours accompagnée par son "secrétaire", Philippe de Moricourt (noblesse authentique), ou encore le Major Bellam, lui aussi britannique, qui occupe depuis des lustres la villa "Le Minaret" ainsi nommée en raison de son architecture, sans oublier le peintre anarchiste Jeff de Greef et Anna, jeune Belge d'excellente famille, qu'il trimballe avec lui on ne sait trop pourquoi mais à vrai dire, un peu comme d'autres promèneraient un trophée.

Devine-t-on rapidement l'identité des coupables ? Oui et non. Ce qui est important, c'est l'analyse de cette micro-société si mêlée, la révélation du caractère profondément intelligent et plein de délicatesse de Mr Pyke et aussi cette espèce d'idylle avortée qui, jadis, au temps où Marcel Pacaud jouait encore les demi-sels, semble bien être éclose entre Ginette, sa compagne du moment, alors tuberculeuse, et ... oui ... notre Maigret à nous. Oh ! une idylle toute platonique. Mais l'on sent bien que, s'il y a un moment où Maigret a bel et bien failli manquer aux voeux qui l'unissent à son épouse, c'est bien dans le "passé" de "Mon Ami Maigret."

Comme le commissaire - et comme sans doute Simenon, qui en gardait paraît-il un souvenir ému - le lecteur tombe amoureux de Porquerolles - enfin, de ce Porquerolles-là, que nous ne retrouverions certainement pas si nous allions nous y promener aujourd'hui. C'est simple, bon enfant, chaleureux, avec des échos qui ne sont pas sans évoquer le petit monde personnel de Pagnol. D'ailleurs, Marseille n'est pas bien loin ...

Un délicieux Maigret, tendre, mélancolique, amer dans sa fin (les coupables s'en sortiront sans doute à moins que ...), un Maigret qui s'épanouit avec lenteur au beau soleil d'un Sud de la France qui n'est plus, hélas ! mais qui, en renaissant pour nous sous la plume magique de Simenon, nous transporte une fois de plus dans le Temps en nous le faisant oublier. Tel est le grand, l'éternel miracle de l'Ecrivain. ;o)
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