«
le Désordre » est un chef d'oeuvre méconnu, un roman initiatique à la douleur du monde, et un portrait de femme absolument magnifique. Il faut passer à la fois le désespoir âpre de la démonstration et l'écriture tantôt précise, tantôt chaotique, parfois d'un onirisme flou, pour saisir toute l'immense richesse de cette fable cruelle, plongée dans un réalisme tortueux, et baignée d'un héritage symboliste tourmenté. Bien que son héroïne semble avoir peu de similitudes avec ce que fut sa propre vie, Simone le Bargy, alias
Madame Simone, a mis beaucoup de ses douleurs, de ses chagrins, dans ce roman, relatant la lente agonie d'une adolescence. «
le Désordre » n'est pourtant pas un roman dur, cynique, morbide. La souffrance s'y installe progressivement, comme elle le fait assez souvent, au final, dans l'existence, au fur et à mesure que les illusions s'envolent et que la réalité des choses s'impose.
le désordre ici est celui de chaque chose, chaque personne, qui échappe à l'idée que l'on pouvait s'en faire. Emma Collinet s'éveille au monde, à l'amour, à l'indifférence ou au mépris des autres, à la toute puissante solitude que rien ni personne ne parvient réellement à chasser.
le désordre des choses tue lentement Emma, parce que de toute son âme, elle est rétive à ce désordre. Tout le mérite de
Madame Simone est de souligner, ce qui était rare à l'époque, le terrible poids de la sensibilité qui fait parfois de nous des « mal nés », des instables, des dépressifs et de suicidaires, inaptes à la vie, inaptes au bonheur, ou seulement aptes à une forme de bonheur irréalisable. Elle montre jusqu'à quel degré de désespoir on peut tomber quand on ne veut prendre en compte que les sentiments les plus élevés, les idéaux les plus absolus. Et le raffinement suprême de l'auteur est de ne pas axer cette conclusion par rapport à une idéologie ou par rapport à une morale. Elle décrit , constate, décrypte un dysfonctionnement, sans en tirer de leçon particulière, sinon qu'il faut tracer son chemin en faisant de son mieux, sans se débattre inutilement, sans s'acharner outre mesure. Réaliser ses passions n'est pas à la portée de tout le monde, particulièrement quand ces passions incluent la nécessité d'une affection réciproque.
Tout cela n'est pas très gai, mais rien n'est effectivement plus vrai. «
le Désordre » est une leçon de vie sans complaisance, mais qui peut aider à comprendre les choses, ou à défaut, à les admettre. C'est aussi une oeuvre étonnante, atypique, un touchant état des lieux des égarements de l'adolescence examinés à froid, mais non sans émotion, par une quinquagénaire qui avait traversé des douleurs atroces. Tout cela en fait une oeuvre exceptionnelle, qui gagnerait à être redécouverte.
Lien :
https://mortefontaine.wordpr..