Citations sur Confessions d'un enfant de La Chapelle (6)
Sur ce denier propos, je m'étais mépris ; sans colère, mes parents ne ressentirent en apprenant que j'étais viré qu'une silencieuse affliction. Ainsi, tous les saumâtres pronostics se confirmaient : j'étais bien le tocard incasable, le générateur endurci d'emmerdements. Qu'allait-on pouvoir faire de moi? J'évitais d'y penser, n'ayant d'attrait pour rien, et puis trop d'autres y pensaient pour moi. Une singulière émulation s'était emparée de toute notre parenté, de nos relations et voisins, à qui suggérerait une activité possible, un embauche miraculeux, la bonne gâche pour galopin rétif. Je devenais, en tant qu'inclassable, dans un cercle de bonnes âmes, une sorte de vedette.
Seul !… Je reste seul !… Mais libre !… Libre de quoi ? Libre pour quoi ? En réponse, instinctif, un bilan s’établit, ordonné en pensée par un constat de réalité : j’accomplis ma dix-septième année… je n’ai point de métier… j’en suis à espérer un emploi… je me trouve criblé de dettes… et me voici doublement O-R-P-H-E-L-I-N !…
Une heure !… La vache… ! Je voudrais l’y voir, le chef, dans les brancards de la charrette ! Selon moi, même les mains dans les poches et le nez au vent, il devrait falloir un drôle d’athlète pour accomplir le parcours « rue des Roses, cette putain de gare d’Austerlitz » ! Je renaude fort, écœuré par le freinage sur les talons dans la descente du faubourg Saint-Denis, puis celle, à peine moins pénible, du boulevard Magenta. La République franchie au petit trot, un banc m’accueille sur les Filles-du-Calvaire, les fumerons [31] me rentrant dans le corps. Je me demande soudain si l’épreuve qui m’est infligée n’est pas une brimade professionnelle réservée aux apprentis, afin d’apprécier leur courage ? Dans ce cas, ils vont voir à qui ils ont affaire, en ma personne ! J’aimerais posséder une montre pour contrôler la durée de la pause que je m’autorise. J’en suis réduit à consulter furtivement l’horloge octogonale d’une brasserie devant laquelle stationne mon tape-cul. Dix minutes coulent avant que je m’aventure à réinsérer dans la bricole et les brancards de ma toute personnelle ennemie à deux roues. Et, youp-là, bonhomme, c’est reparti !
En un temps où ni pénicilline ni sulfamides n’étaient encore découverts, le péril vénérien n’était pas une amusette. La race gauloise, déjà rudement saignée par la riflette, se trouvait en danger d’être décimée par la chtouille, anéantie par le nazebroque, d’où vive parade officielle et création d’instituts prophylactiques.
La mémoire entoure toujours d'un flou prudent ce qui nous apparaît, le temps écoulé, comme un propos, une action blâmable. Pour cette raison sans doute, je me revois mal pénétrant timidement dans la chambre de mes parents, y trouvant ma mère le visage bouilli de larmes. J'entends pourtant encore clairement ma voix articuler niaisement :
- Tu sais, maman... nous avons gagné !... et la pauvre femme me conseiller entre deux sanglots :
- Taits-toi, petit imbécile !...
Peu prolixe, ma mère m'enseignait ainsi qu'en une guerre il n'est pas de victoire pour ceux dont un père, un frère ou un fils ont laissé leur vie sur le champ de bataille, et que cette perte ne peut être que l'effet d'une terrible injustice. Pourquoi celui que nous aimions a-t-il été frappé plutôt que son voisin de combat, de qui nous ignorons tout ? Qui conduit la balle ou l'obus?
Début du livre, nous sommes en 1905, le style est là !
"Je suis venu au monde à crédit. Mon père, qui traquait l'outsider sur les hippodromes de la région parisienne, devait mettre deux années, thune après thune, à honorer Mme Weber, la sage-femme qui venait de délivrer ma brave maman. Il ne s'agissait pourtant que de cinquante francs ! Ainsi, dès mon premier vagissement, me trouvai-je voué au « croume », fatalité que la suite de mes jours ne devait pas démentir.
Cet accroissement d'une unité de la population parisienne eut pour théâtre le logis de mes parents, sis rue Riquet, à La Chapelle, XVIIIe arrondissement. Les naissances en ce temps et en ce faubourg avaient ieu, par souci de respectabilité, au domicile des géniteurs, les maternités de l'Assistance publique étant réputées dans l'esprit du populaire devoir être la ressource des filles mères, des rôtisseuses de balais, voire des franches putes, parturientes condamnées pour cent raisons, dont la moindre était la gratuité, à l'accouchement subreptice."