Aimer les soeurs Brontë est une chose mais je ne suis pas certain que les amateurs des trois soeurs trouveraient leur compte dans ce roman de
May Sinclair. En effet, on ne trouve pas dans ce roman cette dimension un peu « fantastique » que l'on pouvait trouver dans Les Hauts de Hurlevent ou bien Jane Eyre. Ici, on est dans un roman à la mode british très classique, peut-être plus proche de
Jane Austen selon moi.
La réussite de ce roman est avant tout le traitement des personnages qui, chacun à leur façon, cherche à échapper au destin que la société ou la morale protestante voudrait leur imposer. On a ainsi l'impression d'assister à une sorte d'expérience scientifique. le comté de Garth devient une sorte de « laboratoire » où
May Sinclair s'amuse à emprisonner ses personnages et à les soumettre au puritanisme de l'époque, incarné par le pasteur Cartaret. Tout au long du roman, on observe les personnages se débattre en quête d'une solution pour survivre et échapper à cette atmosphère sclérosante. Alice exprime ainsi sa révolte par ses souffrances physiques et son mal-être quasi auto-destructeur. Gwenda tente de s'enfuir pour se soustraire aux tentations et à l'influence paternelle mais le pouvoir d'attraction du père est trop forte et la condamne à la soumission et à la résignation. Quant à Mary, en bonne croyante et digne fille de son père, elle observe, calcule et saisit les occasions, quitte à trahir ses propres convictions religieuses. le trio féminin du roman qui semble plus que soudé au début du roman face à la figure paternelle despotique va voir son « union sacrée » se déliter peu à peu, seul moyen finalement pour survivre à la situation.
En effet, les personnages qui pourraient les aider à se sortir de cette emprise destructrice se révèlent finalement incapables de les sauver car ils ont eux-mêmes leurs propres démons : Greatorex, libéré de son propre père, se retrouve totalement anéanti et, après avoir été incapable d'aimer et de s'engager, trouve en Alice sa rédemption. Quant à Rowcliffe, sa faiblesse le rend manipulable au point de se retrouver piégé par une « bonne » âme dont il ne pourra plus se défaire par lassitude ou par lâcheté. Une chose est certaine, le puritanisme tant combattu par le trio de soeurs au début du roman sort triomphant de cette histoire car, bien que le personnage du père soit affaibli tant spirituellement que physiquement au terme du roman, son emprise semble continuer à planer sur le comté de Garth et sur la vie de la pauvre Gwenda, sans doute la plus grande perdante de cette « expérience ».
Ma chouchoute à moi
Gwenda est sans conteste le personnage le plus attendrissant et le plus attachant de ce roman. On admire son dévouement, son esprit de sacrifice même si on peut s'en irriter. Après tout, elle passe un peu pour « la cruche » de la famille. En effet, alors qu'elle se révèle être la plus grande menace face au despotisme spirituel de son père, elle échoue sur toute la ligne dans sa tentative de rébellion en acceptant de se sacrifier pour ses soeurs allant jusqu'à renoncer à l'homme de sa vie et à se retrouver prisonnière de celui qu'elle avait tant combattu. Gwenda est admirable et l'on ne peut pas ne pas compatir à son malheur tant sa naïveté la fragilise.
Mes têtes à claques à moi
Le pasteur Cartaret est détestable car le despotisme qu'il exerce sur sa maison n'est en aucun cas guidé par ses convictions religieuses mais par son égoïsme et sa jalousie. Il est terrifiant de constater à quel point il s'évertue à vouloir anéantir tout espoir de bonheur pour sa progéniture. Mais la palme revient incontestablement au personnage de Mary qui se révèle être une véritable sainte-nitouche, obsédée par sa réputation et l'image d'épouse et de mère parfaites qu'elle veut donner à sa communauté.
Au final, une lecture plutôt agréable d'un classique anglais oublié et qui mérite d'être redécouvert.
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