Comment un homme fait son malheur et celui des siens.
Le pasteur Garth est un homme austère et intransigeant. Cette inflexibilité a coûté la vie à sa première épouse, qui est morte en donnant naissance à sa troisième fille, alors qu'on lui avait signifié le danger que sa femme encourait à enfanter de nouveau. L'homme est désormais célibataire - après avoir éreinter sa troisième épouse, qui, de guerre lasse, a quitté le domicile familial, à sa grande honte, et habite le modeste presbytère de Garth dans le Yorkshire, chassé par la rumeur publique de l'inconduite très relative de sa puînée Alice, qui suffocant sous la férule paternelle se serait laissée conter fleurette dans leur ville d'origine. L'homme est donc un despote domestique, d'un rigorisme qui n'est que la manifestation de son égoïsme, qui l'aveugle singulièrement, et dont il est finalement, par un juste retour des choses, l'une des victimes. Ses filles,
les trois soeurs, au sein de cette atmosphère pesante, par leur comportement et en adoptant des politiques différentes, composent à leur manière avec leur sort guère enviable. Mary l'aînée et la mieux aimée, toujours sage et douce, s'adonne aux travaux d'aiguille et supervise les activité domestiques ; l'indomptable et opiniâtre Gwendolen, que le pasteur redoute secrètement, sillonne la lande vallonée à marche forcée ; Alice, objet de l'ire paternelle pour la disgrâce dont il se sent l'objet, se laisse gagnée par l'hystérie, passant ses journées allongée sur le canapé, quand elle ne martèle pas avec rage les touches d'un piano qui ne lui a rien demandé. Rentre en scène le médecin de campagne, chéri de ces dames, qui se voit l'objet des manoeuvres des trois soeurs. La cadette fidèle à son tempérament, se fait porter pâle et refuse toute nourriture, approche la plus à même, de prime abord, à attirer les soins de l'homme de l'art. Tactique beaucoup plus éprouvée et diamétralement opposée de la part de Gwenda qui ignore et évite à toute force le serviteur d'Esculape, en faisant feu des deux fuseaux à son approche, ce qui semble porter ses fruits. Tranquille et inexorable comme une Parque, Molly, en retrait, tricote et prend son mal en patience...
On a qualifié
May Sinclair, dont
les Trois soeurs est paru en 1914, de "Victorienne moderne". C'est fort justement dit, tant l'univers de la romancière tient des grandes oeuvres de ses devancières : des personnages vivant sous le fardeau des conventions d'une société puritaine, une forme maîtrisée recouvrant de clair-obscur la vérité des passions humaines. Mais c'est surtout un formidable roman d'analyse psychologique, pénétrant la vertigineuse psyché féminine, exsudant un freudisme torride, qui est proposé à la curiosité du lecteur aux excellentes éditions Archipoche.