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Critique de kielosa


Pour ma 200e chronique sur Babelio, j'ai choisi une histoire d'amour, mais pas n'importe laquelle : une sortie de la plume du seul Nobel en Yiddish, en 1978, Isaac Bashevis Singer, 1902-1991, "Ennemies", sous-titrée d'ailleurs "Une histoire d'amour". La version originale "Sonim, di Geshichte fun a Liebe" date de 1966. La traduction anglaise "Enemies : A Love Story", de 6 ans plus tard.

Afin de vous permettre de mieux vous représenter les personnages principaux de cette tragicomédie , je vous les mentionne en indiquant les actrices et l'acteur qui les ont incarné dans le film homonyme que le régisseur américain, Paul Mazursky, a fait de l'oeuvre de Singer en 1989. le rôle du héros de l'histoire, Herman Broder, est interprété par Ron Silver (1946-2009), acteur et régisseur juif, connu comme avocat d'O.J.Simpson dans "American Tragedy" et celui de l'avocat de Claus von Bülow dans "Le mystère von Bülow". Les 3 femmes dans vie d'Herman sont : Anjelica Huston - fille du régisseur John Huston et pendant des années la compagne de Jack Nicholson - dans le rôle de Tamara ; l'actrice suédoise, découverte par Ingmar Bergman, Lena Olin, interprète la sensuelle Masha et Margaret Sophie Stein (pseudo de Malgorzata Zajaczkowska) Yadwiga.
Surtout les actrices ont été merveilleusement bien choisies en fonction des personnages de Singer. L'affiche du film nous montre la jolie tête des 3 "élues" de Herman, et mérite d'y jeter un coup d'oeil.

Le maître lui-même nous prévient, dans un avant-propos, qu'il s'agit d'une histoire fictive autour d'un cas exceptionnel. Les protagonistes ne sont pas seulement des victimes du nazisme, mais aussi de leur propre personnalité et croyances.

Herman Broder, unique survivant de sa famille juive polonaise de l'holocauste, débarque peu après la fin de la 2ème guerre mondiale à New York.
Il vit à Brooklyn avec Yadwiga, qui, pendant 3 ans l'a caché dans un grenier à foin, et avec qui il a passé un an dans un camp nazi. Et bien qu'ils se soient mariés, Yadwiga se comporte toujours comme si elle était encore la servante du père d'Herman. En fait, à 33 ans, elle est restée la jeune fille de campagne polonaise, dévouée et timide, illettrée qui bredouille quelques mots américains. Pendant que son mari s'absente pour colporter des bouquins, elle s'enferme dans leur flat et s'imagine toujours à Lipsk, un village polonais près de la frontière lituanienne, d'où elle est originaire.

Herman, torturé par des cauchemars de guerre, vit partiellement dans le Bronx, où il occupe une chambre dans l'appartement de Masha. La femme qu'il aimerait marier dès qu'elle a obtenu le divorce d'avec son mari, de qui elle s'est séparée. Comme lui, Masha est en proie à des cauchemars de ses passages dans les camps, comme juive.

Outre ses ventes de livres, Herman gagne son minimal revenu "comme nègre" pour le riche rabbi Milton Lampert de qui il écrit les livres, articles et discours. Masha, qui ne peut survivre des 15 dollars par semaine d'alimentation qu'un juge a imposée à son mari - mais qu'il oublie de payer - travaille comme caissière dans une cafétéria, d'autant plus qu'elle a à sa charge les soins de sa mère Shifrah, sortie de la guerre très malade.
Nous sommes donc loin de l'aisance des Rothschild et co.

Comme si son existence n'est déjà pas assez compliquée, il apprend que sa 1re épouse, Tamara, qu'il croyait morte, a également survécu la Shoah et qu'elle se trouve à Broadway (New York). Leurs 2 enfants, Yocheved et David sont morts. Suit une scène pénible, lors de laquelle, elle lui reproche que leur union était, par sa faute, une caricature de mariage et qu'il lui faudra divorcer avec cette "simplette" de Yadwiga.

Comment notre Herman, légalement bigame, va se débrouiller avec ses "trois amours", je ne puis évidemment vous le raconter sans nuire à votre plaisir de lire cette oeuvre un peu particulière de ce Nobel. Masha la Belle, Yadwiga la Bonne, Tamara la Forte ? Mais, soyez rassuré, du plaisir vous aurez en lisant ce roman ! Pour construire une comédie réussie autour, après tout, de victimes de l'holocauste et l'Allemagne nazie, il faut avoir beaucoup de délicatesse et de talent ou s'appeler Isaac Bashevis Singer. On y retrouve l'auteur de "La famille Moskat", de "Satan à Goray" , "Le Manoir", "Le Spinoza de la rue du Marché" etc.

"Ennemies" ne constitue pas le chef-d'oevre de Singer, mais vaut absolument la peine d'être lu à plus d'un titre : son art de raconteur-né, combiné avec sa maîtrise d'évocation de situations complexes et sa grande compréhension du coeur humain, sans oublier des considérations philosophiques bien à lui.

L'écrivain était un homme foncièrement modeste. À ce propos, Florence Noiville dans sa biographie épatante de lui - qui porte comme titre tout simplement son nom - note qu'il détestait les biographies : "lorsqu'on a grand faim, on se moque bien de la vie du boulanger. C'est l'oeuvre qui compte, pas le bonhomme."

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