Sourire d'une nuit d'été, extrait 1
Mes cauchemars sont toujours noyés, inondés de soleil et je hais les régions méditerranéennes justement pour cette raison. [...] Quand je vois un ciel infini sans nuage, je me dis, tiens c'est peut-être la fin de notre planète
-Entretien avec Stig Björkman, 1973-
Au milieu de tout ce fatras, j’éprouve pour lui une tendresse désespérée. Je comprends son angoisse, ce sentiment de vide qui est en lui et son ennui, sa panique. Et je crois étrangement qu’il connaît de moi quelque chose que personne d’autre que lui ne connaît.
Le journal d'Agnès:
J'ai parfois envie de poser mes mains sur mon visage et de ne plus jamais les enlever. Que vais-je devenir, moi et ma solitude? Longues les journées, silencieuses les soirées, et les nuits sans sommeil. Que faire de tout ce temps qui déferle sur moi? Alors je me réfugie dans mon désespoir et le laisse me consumer. J'ai remarqué si je tente de l'éviter ou de le retenir à l'écart, tout est plus difficile. Il est préférable de s'ouvrir, d'accueillir ce qui vous tourmente ou vous fait mal, de ne pas fermer les yeux ou se dérober comme je faisais avant.
Johan : Je vais dire une banalité. Mais pour tout ce qui touche aux sentiments, nous sommes des analphabètes. Et c’est un fait regrettable qui n’est pas seulement valable pour toi et pour moi, mais pratiquement pour tous les hommes. Nous apprenons tout sur notre anatomie, tout sur l’agriculture en Nouvelle-Zélande, la racine carrée de pi, tout ce que tu voudras, mais sur notre âme, pas un mot. Nous sommes d’une ignorance stupéfiante tant en ce qui nous concerne qu’en ce qui concerne les autres. De nos jours, on dit un peu vaguement qu’il faut élever les enfants dans des idées d’humanité et de compréhension, des idées de coexistence, d’égalité, enfin tous les mots du vocabulaire à la mode. Mais personne ne s’est jamais dit qu’il fallait que nous apprenions d’abord quelque chose sur nous-mêmes et sur nos propres sentiments. Notre peur, notre solitude, notre colère. Sur ce chapitre nous sommes abandonnés, ignorants, remplis de mauvaise conscience et d’ambitions déçues. Il est presque inconvenant de donner conscience de son âme à un enfant. C’est tout juste si on ne nous regarde pas comme un vilain monsieur. Comment pourra-t-on jamais comprendre quelque chose aux autres, si on ne sait rien sur soi.
Chaque jour, chaque heure, chaque minute de notre vie est quadrillé. Et dans chaque petit carré, il est inscrit ce que nous devons faire. Les carrés se remplissent au fur et à mesure et bien longtemps à l’avance. Et qu’il y ait soudain un carré sans rien de prévu, nous voilà pris de panique et nous nous dépêchons de le remplir avec toutes sortes de pattes de mouches.
Pourquoi se priver de tout ce qui est bon en ce monde. Pourquoi ne pas avoir le droit d’être grands et gros et joyeux. Imagine un peu ce qu’on serait bien tous les deux. Tu te souviens de tante Miriam et oncle David. Rappelle-toi comme ils étaient bien et comme leur vie était douillette et comme ils étaient gros. Et tous les soirs, ils allaient se coucher dans leur grand lit qui grinçait en se tenant par la main et ils étaient contents d’être l’un avec l’autre tout gros qu’ils étaient.
Comment parler de ce qui n’a pas de mot. Comment expliquer que cela m’ennuie de faire l’amour, même si techniquement, tout se déroule parfaitement. Comment expliquer qu’on a envie de te battre quand on te voit toute propre et toute jolie en train de déguster tes œufs à la coque au petit-déjeuner ?
Je ne pleure pas ce qui n’est plus. Les enfants grandissent. Les liens se dénouent. L’amour a une fin et la tendresse et l’amitié et l’esprit de communauté. Il n’y a rien d’extraordinaire à ça. C’est tout simplement comme ça.
Sais-tu ce que tu as tout le temps fait ? Tu as exploité ton sexe. C’était devenu la monnaie d’échange. Si je te faisais l’amour un jour, il était sous-entendu que le jour suivant, cela te serait épargné. Si j’avais été bien gentil, bien mignon, si je t’avais donné un coup de main, j’avais ma récompense : une petite récréation au lit. Si j’avais été désagréable et si j’avais osé critiquer quelque chose, alors on se vengeait et tu te retirais dans ton coin. Et je me résignais ! Quand je pense à ton comportement avec moi, c’était parfaitement grotesque. Tu étais pire qu’une putain.
" Le vide est le miroir de mon visage, je veux savoir pour ne plus croire. Je veux que dieu me tende la main, qu'il me dévoile son visage et qu'il me parle".
Antonius élabore à l’aide de ses valeurs de l'instant la mise en pages de ses réflexions.
L'espoir d’une révélation consciente. Une approche religieuse pure découverte sur le pré ou lors de la traversée de villages tuméfiés.
Une nouvelle perception faisant de cet indécis un référant convertit par une image, un comportement ou un mot révélateur contre vérités d'une époque souillée par la démence les épidémies et les malédictions.
Les yeux exorbités d’une sorcière au bûcher scrutés intensément afin d’y percevoir une illumination au seuil du passage dans l’au delà s’avèrent décevant.
Qui a-t-il après la mort ? A quoi sert la vie ? Quelle est notre mission sur terre ?
Le contexte médiéval extrêmement épuré de toute sensibilité assèche les âmes à la recherche d’une autre dimension que celle d'un monde ou chaque rencontre ne fait qu'entretenir un territoire dévasté aux portes de l’aliénation.
L'époque est nébuleuse, croupie dans ses superstitions, pille les cadavres, rôtit les illuminés, sarabande sur les crêtes.
Un monde à la dérive sombre dans la folie tout en quêtant sa rédemption pendant qu'un interrogatif recherche désespérément une réponse afin d'apaiser ses méditations métaphysiques.
Ou sont nos repères? Qu'est ce que la vérité?
Antonius vivant au jour le jour désire tout connaitre, tout ressentir dans une vie éphémère rongée par la guerre, le rituel, la sorcellerie et les épidémies.
Comment conquérir une autre échelle au contact de contemporains soumis ou déstabilisés par le monde qui les entourent ?
Ne serions nous pas finalement que des Antonius des temps modernes.
Des êtres désirant en savoir plus mais empêtrés dans une imagerie quotidienne décevante privée d'éléments porteurs leur permettant d'acquérir une nouvelle grandeur.
Le septième sceau Igmar Bergman 1957.