Citations sur Evie (51)
Parfois, on avait vraiment du mal à ne pas se dire que la vie était moche.
Andrew nous aimait, mais il aimait aussi son travail. Et, quand son pays faisait appel à lui, Evie et moi passions après.
Un bruit à la porte me fit sursauter, mais ce n’était que maman – son visage las et ridé, son corps maigre et nerveux, trop raide et crispé. Je lui enviais son énergie et sa volonté de faire avancer les choses ; mais, pour l’heure, elle m’irritait comme une aiguille émoussée qui serait plantée dans mon flanc, me rappelant constamment mes propres insuffisances.
Tous les bons et tous les mauvais moments étaient consignés dans ces sacs : objets sentimentaux et souvenirs, mélangés et entassés, serrés pour que rien ne bouge, pour que rien ne s’échappe.
Un éclat de rire, des visages réjouis et des moments passés en famille m’emplirent la tête avant de disparaître brusquement, telle la brève et soudaine lueur que produit un film en celluloïd avant de mourir. Peut-être parviendrais-je un jour à y voir plus clair, à comprendre pourquoi ce cauchemar nous est arrivé à nous.
Et peut-être, alors, retrouverais-je le sommeil.
Mais je reste capable de penser. Et de me rappeler. En fait, je me souviens du passé beaucoup plus clairement qu’avant.
Mais mon instinct me souffle que si j’accède à trop de choses, trop tôt, je ne supporterai pas la souffrance, et que je baisserai le rideau pour de bon. Et alors, qu’arrivera-t-il à ma si jolie petite fille ?
Tout le monde a perdu depuis longtemps l’espoir de retrouver Evie. Officiellement, la police n’a pas clos l’enquête et toute information sera exploitée, mais je sais qu’ils n’explorent pas de nouvelles pistes, parce qu’ils n’en ont aucune.
Ni indice ni signalement. Rien.
Je fais appel à toute l’énergie et à toute la détermination que j’ai en moi pour les transmettre à la main immobile posée sur la pâle couverture bleue. La gauche. Celle qui se trouve juste devant leurs visages si peu observateurs.
Je n’ai qu’à bouger un doigt, à déplacer ma paume. Un mouvement d’un millimètre, une simple contraction suffirait. À condition qu’ils s’en aperçoivent.
N’importe quoi susceptible de leur prouver que je suis toujours là, et bien là. Prisonnière de mon propre corps.
Si un médecin ou une infirmière s’en donnait la peine, il pourrait voir le battement infime d’un cil, le tremblement imperceptible d’une phalange. Bon sang, même la fille de salle pourrait déceler un signe de vie, s’il lui arrivait de me prêter attention.
— Elle a l’air si vivante, dit doucement la femme médecin en faisant un pas vers mon lit.
Je suis en vie, crié-je. Je SUIS en vie !
Mon cœur bat plus vite. S’apercevront-ils cette fois que, derrière cette cloison insonorisée qui me sépare du réel, je suis toujours là ?
Pour eux, je suis dans un état végétatif, figée sur ce lit étroit, les yeux grands ouverts. Aussi immobile qu’un cadavre.
Mais, dans ma tête, je me tiens bien droite, frappant la cloison imaginaire de mes paumes aux doigts écartés. Hurlant pour qu’on me laisse sortir.
Regardez-moi, je crie. Regardez-moi !
Mais tout le monde m’ignore. Certes, on parle de moi, on m’observe de loin, mais on ne me touche pas, on ne me regarde pas dans les yeux.
Les deux médecins entrent et je m’efforce de distinguer leurs mouvements dans une confusion de blanc. Ils viennent tous les jours, à peu près à la même heure, quand la lumière se fait légèrement plus douce. C’est ma façon de savoir qu’on est l’après-midi.
Tic tac, tic tac.
La pendule murale se trouve juste à la périphérie de ma vision.
De l’autre côté de mon lit, un rond de lumière marque l’emplacement de la fenêtre. Je discerne là une masse tamisée, sourde. Peut-être de couleur verte. Elle effleure la vitre en bruissant, quand tout le reste dans la petite chambre blanche est immobile et silencieux.
J’entends des voix, des pas. Derrière la porte.