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Citations sur Le Pays des autres, tome 2 : Regardez-nous danser (200)

Une fois par mois, Fatima rentrait chez elle, au bidonville. Dès qu’elle franchissait la porte de la baraque, sa mère réclamait l’argent et Fatima lui tendait sa paie. La mère passait la langue sur son index et comptait les billets en silence. Elle ne savait pas lire mais compter, ça elle savait. Elle faisait des petits tas avec les billets et les rangeait, pliés en quatre, dans son soutien-gorge. Une fois, Fatima lui demanda à quoi chaque tas correspondait et sa mère répondit : « Occupe-toi de travailler. Ne te mêle pas de ça. » Au bidonville, rien ne changeait. Ni dans le paysage, ni dans les maisons, ni même dans les conversations ou dans les habitudes. On ruminait les mêmes problèmes, on souffrait encore et toujours des mêmes maux, on mourait des mêmes maladies et on se plaignait des mêmes douleurs. Fatima comprit alors que c’était cela la misère : un monde qui ne change pas. Les bourgeois, les gens riches et instruits, quand ils se rencontrent, se demandent toujours ce qu’il y a de neuf. La vie leur réserve des surprises. Ils parlent d’avenir et même de révolution. Ils croient que le changement est possible.
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Aïcha ne s'intéressait qu'à la médecine. Elle se fichait bien du conflit israélo-palestinien, du destin de De Gaulle ou de la situation des Noirs en Amérique. Non, ce qui la fascinait, ce qui était pour elle une source d'exaltation, c'était l'incroyable marche de la vie. Le fait que quand nous mangeons, chaque aliment soit assimilé et que chaque élément aille exactement là où il doit aller. Ce qui la bouleversait, c'était la ténacité et l’intelligence de la maladie quand elle s'insinuait dans un corps sain, résolue à l'annihiler. Dans les journaux, elle ne lisait que les articles scientifiques et s'était passionnée pour la première greffe de cœur en Afrique du Sud. Sa mémoire était phénoménale et David, quand il travaillait avec elle, répétait : « Je ne peux pas suivre, tu es trop rapide pour moi. » Elle l'impressionnait par sa capacité de concentration et les facilités qu'elle témoignait dans l’étude des cas cliniques. Un jour, alors qu'ils sortaient de la bibliothèque, il lui demanda d'où lui venait cette passion pour la médecine. Aïcha mit les mains dans les poches de sa veste et, après avoir réfléchi quelques instants, répondit : « Contrairement à tes amis, je ne crois pas qu'on puisse changer le monde. Mais si on peut soigner, c'est déjà quelque chose. »
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Amine se fichait des mauvais résultats de son fils. Hier, un professeur avait convoqué Mathilde pour lui dire que Selim était un bon à rien et qu’il n’aurait jamais son baccalauréat. Amine non plus ne l’avait pas eu. « Et je ne m’en porte pas plus mal », confia-t-il à son fils. Amine l’avait emmené sur l’exploitation. Dans la chaleur humide des serres, sous les hangars surchauffés où on chargeait les plants sur des camions, il lui avait dressé l’inventaire de ce qui bientôt serait à lui. Il semblait guetter sur le visage de son fils le signe d’une certaine fierté, d’un orgueil même à l’idée d’être un jour le patron de ce domaine. Mais Selim n’était pas parvenu à masquer son ennui. Tandis que son père parlait des nouvelles techniques d’irrigation dans lesquelles il faudrait investir, Selim avait aperçu une bouteille en plastique qui traînait sur le sol. Sans réfléchir, il avait donné un coup de pied dedans et l’avait envoyée vers un garçon appuyé contre un mur qui accueillit ce geste en riant. Amine l’avait frappé à l’arrière du crâne : « Tu ne vois pas que ces gens travaillent ? » Et il s’était mis à jurer et à regretter, à haute voix, que Selim n’ait pas le sérieux de sa grande sœur dont le seul défaut était d’être une femme.
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Mes pensées ne sont plus qu'une lettre en cours d'écriture.
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Si les membres du Rotary insistèrent, s'ils se montrèrent si bienveillants, si attentionnés à l'égard d'Amine, c'est aussi parce qu'il était marocain et que le club voulait prouver, en intégrant des Arabes parmi ses membres, que le temps de la colonisation, le temps des vies parallèles, était terminé.
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Elle voulait cette piscine en compensation de ses sacrifices, de sa solitude, de sa jeunesse perdue.
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Mathilde comprit alors que toute sa vie, son mari aurait peur qu'on lui arrache ce qu'il avait conquis. Pour lui, tout bonheur était insupportable puisqu'il l'avait volé aux autres.
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Il ne le confia à personne, mais s'il avait accepté de faire construire la piscine, c'était pour Aïcha. Pour qu'elle soit fière de lui, pour qu'elle n'ait pas honte, elle, la future médecin, d'inviter un jour ses amis à la ferme. Il ne se vantait pas de la réussite de sa fille. A Mathilde, il disait sèchement : "Tu ne mesures pas la jalousie des gens. Ils seraient prêts à devenir borgnes pour qu'on soit aveugles." Par sa fille, par son enfant, il devenait quelqu'un d'autre. Elle l'élevait, elle l'arrachait à la misère et à la médiocrité. Quand il pensait à elle, une intense émotion l'étreignait comme une brûlure dans le torse qui l'obligeait à ouvrir grande la bouche et à prendre une inspiration. Aïcha était la première de cette famille à faire des études.
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Tous ces grands mots, tous ces concepts lui paraissaient vides de sens. Où allaient-ils chercher cette ferveur ? D'où leur venait cet idéalisme béat ? Et surtout, pourquoi n'avaient-ils pas peur ?

Elle pensa alors à une expression en arabe que son père utilisait souvent : « Si Dieu veut punir une fourmi, il lui donne des ailes. »

Aïcha était une fourmi, appliquée et besogneuse. Et elle n'avait aucune intention de s'envoler.
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Au bidonville, rien ne changeait. Ni dans le paysage, ni dans les maisons, ni même dans les conversations ou dans les habitudes. On ruminait les mêmes problèmes, on souffrait encore et toujours des mêmes maux, on mourait des mêmes maladies et on se plaignait des mêmes douleurs. Fatima comprit alors que c'était cela la misère : un monde qui ne change pas.
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