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sur 95 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Voilà un de ces romans dont l'entrée en immersion est déterminante afin d'en apprécier la magie et la poésie. J'ai raté ma première plongée. La deuxième me permit de pleinement apprécier cette symphonie pastorale emplie de lumière et de vitalité.

Je chante et la montagne danse raconte sur plusieurs générations l'histoire d'une famille frappée par la tragédie en s'inspirant de l'histoire, du folklore et de nature des Pyrénées catalanes espagnoles, quelque part dans la province de Gerone, tout proche de la frontière française.

Avec une énergie débordante, Irene Solà propose un récit kaléidoscopique tissé d'un dialogue permanent entre les hommes, le monde végétal, le minéral et le végétal. Et c'est totalement surprenant, insolite même de découvrir la voix de l'orage porteur d'un drame à venir, des champignons en pleine poussée, de la montagne éternelle, du chevreuil en fuite, à côté de la voix des femmes et hommes confrontés à leur destin, le cherchant ou le fuyant. Les bouches de l'auteure sont multiples et ouvrent énormément de possibilités dirigées vers un réjouissant panthéisme.

Le chant des champignons naissant ou plutôt renaissant sous la pluie m'a particulièrement charmé :

« La pluie nous réveille, un réveil frais, un renouveau. La pluie nous fait grandir, elle nous fait croître. Soeurs ! Amies ! Mères ! Moi qui suis vous toutes. Bonjour. Bon voyage. Bienvenues. Bien revenues. Nous sortons . Nous sortons comme nous sommes sorties tant de fois. Maintenant. Maintenant. Toute doucement, si nous tenons compte du petit trou, tout doux, délicat, sombre, que nous faisons dans la terre noire, dans la mousse verte . Notre toute petite excroissance. Minuscule. Tout doucement, si nous tenons compte des déambulations de la forêt, des millions et des millions de pluies qui nous sont tombées dessus, des millions de réveils, de petites têtes, de matins, de lumières, de bêtes, de jours. Bienvenues. Et nous nous souvenons de la forêt. Notre forêt. Et nous nous souvenons de la lumière. Et nous nous souvenons des arbres. Nos arbres, chacun d'entre eux. Et nous nous souvenons de l'air, et des feuilles, et des fourmis. Parce que nous avons toujours été ici et nous serons toujours ici. Parce qu'il n'y a ni début ni fin. Parce que le pied de l'une est le pied de toutes. le chapeau de l'une est la chapeau de toutes. Les spores de l'une sont les spores de toutes. L'histoire de l'une est l'histoire de toutes. Parce que la forêt appartient à celles qui ne peuvent pas mourir. Qui ne veulent pas mourir. Qui ne mourront pas, parce qu'elles savent tout. Parce qu'elles transmettent tout. Tout ce qu'il faut savoir. Tout ce qu'il faut transmettre. Tout ce qui est. Semence partagée. L'éternité, une chose légère. Petite, quotidienne. »

Chaque chapitre porte sa propre voix, très inclusive . Toutes se répondent pour élaborer une histoire brillamment construite, emplie de détails qui s'écoutent et s'emboîtent au fil des chapitres. le temps y est conçu comme une accumulation de couches comme si l'avenir se bâtissait sur le passé. La mémoire de la Retirada ( exil des Républicains espagnols après la guerre civile ) est ainsi très vivace. Les blessures résonnent dans le présent, les traumatismes trainent sur les années, les souvenirs vivent dans le paysage comme celui des Dones d'aigua ( sorte de naïades guérisseuses, les Dames de l'eau, les fantômes ont des voix persistantes.

Pour accompagner une telle ambition narrative, l'écriture se devait d'être à la hauteur. Elle l'est, hypnotique, pleine de textures créant des images superbes à la poésie contagieuse, souvent lyrique. Sa beauté formelle est éclatante de plasticité lexicale, visuelle et sonore. Il faut lire ce texte à voix haute car les mots sont gourmands et se savourent encore plus en bouche.

On ne quitte pas ce livre de la même façon qu'on y est entré.

Lu dans le cadre d'une Masse critique privilégiée.
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C'est ce genre de livre, étonnant, surprenant, qui a le don d'éveiller ma sensibilité poétique et de me faire aimer la vie plus intensément. le don de me faire écrire des vers tant l'émotion affleure, en vagues ondulantes, à fleur de peau. Oui, j'éprouve un énorme coup de coeur pour ce magnifique livre « Je chante et la montagne danse » d'Irène Solà. C'est exactement la poésie que j'aime, libre et contagieuse, à la fois originale et simple. Sandrine (@Hundreddreams) avait vu juste lorsqu'elle me disait que j'allais très certainement aimer cet écrit comme elle-même l'avait aimé, elle avait raison, et je l'en remercie infiniment.

C'est un roman mu par une poésie animiste. Une poésie qui honore aussi bien la vie que la mort, une poésie qui met à l'honneur la puissance de la nature, faune, flore, minéraux, nuages, tous les éléments ont la parole, expriment leur sensibilité et cela est tellement frais, tellement réjouissant, tellement rare. Vous entendrez la voix des éclairs, celle d'un chevreuil, celle des champignons, celle d'un chien, celle des montagnes. Voyez l'incipit qui immédiatement donne la parole aux éclairs et quelle parole, quelle puissance, quel début de roman…

« Nous sommes arrivés avec nos panses gonflés. Douloureuses. Nos ventres noirs, chargés d'eau sombre et froide et d'éclairs et de coups de tonnerre. Nous venions de la mer et d'autres montagnes, et allez savoir de quels autres endroits, et allez savoir ce que nous avions vu. Nous passions en raclant la pierre des sommets, comme du sel, pour que rien n'y pousse, pas même les mauvaises herbes. Nous choisissions la couleur des crêtes et des champs, et le scintillement des cours d'eau et des yeux qui regardent en l'air. Quand elles nous ont aperçus, les bêtes sauvages se sont tapies dans leurs tanières et ont tendu le cou et levé le museau, pour sentir l'odeur de terre mouillée qui s'approchait. Nous les avons tous enveloppés, comme une couverture. Les chênes, les buis, les bouleaux et les sapins. Chhhht. Et tous, ils se sont tus, parce que nous étions un toit sévère qui décidait de la tranquillité et de bonheur de garder l'esprit au sec ».

Ce côté animiste m'a beaucoup touchée, comme si nous même, lecteurs, ne sachions plus vraiment de quelle chair nous étions fait. Comme si cela faisait vibrer en nous une énergie venue de temps immémoriaux, comme si nous ne formions qu'un avec tous les éléments. Cette sensation d'union en un tout est une sensation, souvent ressentie en fulgurances éphémères que j'ai toujours eu du mal à exprimer et que Irène Solà magnifie…

Empilant des pierres
Je découvre le silence
Des temps primitifs
Le coeur battant à tout rompre
Mes seins comme des oiseaux

Une poésie animiste donc mais aussi régionaliste. Irène Solà chante une montagne, celle des Pyrénées, une région celle du pays basque. Traditions, mythes et légendes, mots basques nous sont offerts, expliqués. Comme ces figures mythologiques des Pyrénées, les dones d'aigua, femmes d'eau, ou les encantades, des guérisseuses, des sorcières, dont on entend la voix et même le rire, présence discrète tout au long du livre.
Une poésie pastorale qui donne envie de déambuler sur ces montagnes tant la nature y est belle.

Une poésie enfin d'une sensualité renversante, voire d'un érotisme électrisant. L'auteure parle du désir féminin, de l'orgasme, des odeurs. Les reniflances du désir, cette vie sous la peau, où je veux me perdre, toutes narines ouvertes, dans l'entrelacs fibreux qui embaument le coeur.

« Mon corps, c'est un bon corps. Un corps qui apprend rapidement. Un corps qui s'habitue tout de suite et qui sait trouver son chemin. Et il savait tirer profit des élans brusques, fermer les yeux, se concentrer et attraper le plaisir comme ça, comme il venait, petit et maigre, comme un filet d'eau qui s'écoule par un trou, et le battre et le battre encore pour le faire grandir, et en faire un ruisseau. Et comme je m'appliquais à garder le plaisir comme un silence. A serrer les dents bien fort quand la vesse-de-loup éclatait à l'intérieur de moi. A le faire grandir et éclater avant que Domènec en finisse. Et si je l'aimais déjà avant, après le plaisir, entre les draps, une fois qu'il s'était endormi, moi, toute seule avec cette chaleur entre les jambes, avec la tête qui me tournait, avec cette respiration si tranquille, si chaude à côté de moi, je l'aimais encore plus. Je m'accrochais à lui comme à un arbre, comme un bébé s'accroche au sein de sa mère ».

Ce désir primaire, puissant, assumé, qui arrive à contaminer chaque élément sur lequel porte notre regard.

Jupe éclaboussée
par des gouttes de rosée
au bord de la rive
les fleurs sauvages choquées
dodelinent de la tête

Avec tout ça, je ne vous ai pas parlé de l'histoire du livre. L'histoire n'est qu'un prétexte, seul a compté pour moi ce que je vous ai dit précédemment. Très brièvement, c'est la touchante histoire d'une poignée de gens d'un village du pays basque sur quelques décennies, des gens frappés par le destin, par le bonheur et le malheur, par le désir. Qu'importe. Juste remercier sincèrement Irène Solà pour ce livre lu d'une traite, hypnotisée. Un livre magique.

Je bois la verdeur
de tes beaux yeux pleins d'ivresse
livre aux rives rousses -
ils enivrent mes iris
pour y broder des fougères

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Je chante et la montagne danse est un livre totalement atypique.
Le texte nous fait connaître un village perché en haut des Pyrénées catalanes.
Des voix parlent, des voix vont raconter. Et celle qui prend la parole au début du récit évoque des nuages qui s'amoncellent brusquement et l'éclair qui foudroya ce paysan poète qui s'appelait Domènec. Plus tard viendra une autre voix, celle qui évoque Dolceta qui fut pendue pour acte de sorcellerie. Leurs fantômes vont se faufiler dans les pages ainsi que les fantômes d'autres personnages, ils m'ont pris la main jusqu'à la fin de ma lecture...
Ici parmi la vie quotidienne des villageois de cette terre catalane, se déplie la mémoire douloureuse des événements sur plusieurs générations, mêlant l'intime à l'universel. Les drames familiaux, les persécutions guidées par l'ignorance, la guerre civile espagnole et ses exécutions sommaires s'invitent dans les pages et traversent des vies fragiles et fortes à la fois.
Ce sont des malheurs, le malheur du monde, la douleur intime enfouie dans la peur, la terreur, la guerre, dont la rumeur n'altère jamais la beauté de la terre, celle de la montagne.
Pourtant il n'y a aucune tristesse, aucun pathos, l'amour s'invite, parfois de manière sensuelle, l'amour désiré, vécu, perdu, recommencé... L'amitié aussi est forte et se révèle dans l'épreuve.
Je serais bien en peine de raconter l'histoire de ce livre, une intrigue, un début, une fin. Il y a cependant des histoires, des tranches de vies, des personnages...
Certains pourront déplorer qu'il n'y a pas d'histoire, le lecteur est parfois paresseux ou tristement conformiste, Irene Solà invite notre coeur attentif et empli d'inspiration à couturer ces morceaux d'histoires qui nous sont offerts, tendus comme des fleurs pour lesquelles il est possible de composer un bouquet.
J'ai été séduit pour ne pas dire ébloui par la beauté des mots, la beauté du lieu, la beauté des personnages et de leurs sentiments... La beauté du livre.
La beauté de la vie dégringole dans ce livre comme une lumière qui se déverse, s'empare des pages et des versants de ces montagnes.
C'est une ode à la puissance de la nature qui fait écho à la fragilité de l'humanité.
C'est un roman choral comme je l'ai aime, une polyphonie de voix où viennent aussi témoigner des animaux, un chevreuil, un ours, parmi les voix des humains. La force de ce récit est qu'on ne s'en étonne guère.
Irene Solà a peut-être vu elle-même ces personnages ou leur fantômes devant ses propres yeux ou avec simplement son coeur, puisque les poètes savent voir ce qui est caché, enfoui, elle les a peut-être croisés sur un sentier, a frôlé leurs ombres, leurs errances, leurs âmes, leurs larmes, leurs fous rires...
Ce texte est intemporel. Et cela le rend particulièrement beau. Plus que jamais.
Ici les vivants côtoient les morts, le fantastique s'invite dans ces pages comme une étreinte.
Je me suis laissé emporter par la poésie de l'écriture d'Irene Solà. Mais aussi on ne dira jamais assez le travail remarquable et le talent des traducteurs. Je veux ici saluer Edmond Raillard.
Qu'est-ce qui sépare les vivants et les morts ? Qu'est-ce qui qui sépare le réel de l'invisible ? Peut-être un ravin entre deux versants d'une même montagne, un vide sidéral qu'une femme poète va combler en jetant des ponts avec des mots.
Je remercie les éditions du Seuil et Babelio pour ce très beau roman reçu dans le cadre d'une Masse critique privilégiée.
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Cadre du récit : Les Pyrénées.
Le premier chapitre donne la parole aux nuages qui seront bien cruels pendant l'orage. L'éclair va frapper Domènec, un jeune paysan - poète de façon cruelle. La scène nous est décrite dans les détails. Il laissera sa femme, Sio, ses enfants , le vieux Ton qui parcourent avec le lecteur pas mal de nouvelles durant le livre.
Récit qui va se plonger dans les légendes de la région avec les sorcières qui rient, rient même en cas d'atroces scènes qu'elles subissent ou qu'elles provoquent.
Très particulier le choix que fait l'auteure de donner la parole tantôt aux nuages, aux sorcières, aux chevreuils, à un habitant et ses proches touchés par la guerre civile, à la terre en formation, aux dames qui font des petits, à un chien proche des humains, à l'ours qui était là bien avant les hommes...
Un chapitre est entièrement constellé de poèmes.
Le livre peut se lire comme un recueil de nouvelles avec comme fil les personnages de la famille de Domènec disparu au début mais surtout un ouvrage où toute l'âme d'une région s'exprime à travers des mots magiques, poétiques, sensibles. Une écriture unique et des images qui se révèlent devant nous grâce aux mots.
Irène Solà est une découverte, une auteure catalane récompensée du prix de littérature de l'Union européenne en 2019.
Le traducteur, Edmond Paillard est à saluer au passage car arriver à faire passer une sensibilité et des images aussi profondes , sans compter les poèmes; c'est une prouesse.
Une lecture qui nous fait voyager et vibrer à travers les mots.

Un tout grand merci aux éditions du Seuil et à Babelio pour l'envoi du livre.
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Une grande poésie.
Un retour aux sources.
Un chant de la nature.
Une mythologie des Pyrénées, la sorcellerie, les superstitions.
Un autre espace temps, une intemporalité des sens et des émotions.
Des êtres pittoresques, authentiques, naturels avec leur vérité qui peut parfois être crue.
Toute cette beauté connait aussi des drames : la foudre, les armes, la guerre civile frappent, font des victimes.
Une vie dans les montagnes préservée du matérialisme, de la mondialisation.
Un chant polyphonique qui vous entraîne dans une farandole effrénée.
La montagne, ses habitants, ses fantômes, sa faune, sa flore, ses éléments content leur histoire afin que l'on sache, que l'on n'oublie pas, qu'ils ne meurent pas.
La plume d'Irène Solà est vive et fluide comme les torrents, l'autrice nous fait aimer ces personnages et leur pays. Un texte hypnotique !
Je chante et la montagne danse sort le 13 mai 2022
Merci aux éditions du Seuil de leur confiance.
#Je chanteetlamontagnedanse #NetGalleyFrance
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J'ai accepté de lire ce roman en masse critique privilégiée à la seule lecture du résumé, car je dois reconnaître que ni la couverture un peu vieillotte, ni le titre aux couleurs rose flashy ne m'attiraient.
C'est donc avec appréhension que j'ai commencé ce livre, mais dès les premières lignes, j'ai su que ce roman correspondait à mes goûts. Je suis complètement tombée sous le charme de cette histoire, l'écriture d'Irène Solà m'a totalement captivée et emportée.
Je remercie l'équipe de Babelio, les éditions du Seuil et l'auteure Irène Solà pour ce superbe cadeau. L'habit ne fait pas le moine, c'est une belle leçon que j'ai apprise, moi qui suis souvent sensible à une couverture ou un titre.

*
Chaque chapitre s'ouvre comme une petite nouvelle, nous contant au fil des décennies, sur trois générations, l'histoire d'hommes et de femmes. Au rythme lent du temps qui s'écoule, amitiés, mariages, naissances, mort et deuils se joignent en une farandole qui repose sur le cycle naturel de la vie.

L'histoire débute près du village de Camprodon, en Catalogne, lorsqu'un paysan, Domènec, alors sur le flanc d'une montagne, est foudroyé lors d'un gros orage, laissant sa femme Sió s'occuper seule, de leur ferme et de leurs deux jeunes enfants, Mia et Hilari.

« … la scène avait été saisissante. Cela avait fait une telle lumière qu'on n'aurait plus jamais besoin de s'éclairer. le couteau avait appelé l'éclair et l'éclair blanc avait atteint la tête de l'homme comme une cible et lui avait fait une raie au milieu des cheveux, et les vaches avaient fui, le diable au corps, comme une farce. »

Puis les chapitres suivants s'ouvrent sur de nouveaux personnages, donnant, à tour de rôle, la parole à de nombreuses voix, tantôt un des habitants du village, tantôt un personnage plus surprenant comme un chevreuil, un ours, la chienne Lluna, des champignons, ou la montagne elle-même.
L'auteure puise également dans les mythes et les légendes catalanes pour imprégner son récit d'un réalisme magique. Ainsi les sorcières, les fantômes qui hantent la montagne, et les dones d'aigua, participent eux aussi à restituer l'histoire des hommes.

L'auteure crée ainsi un kaléidoscope d'ombres et de lumières, tissant des liens complexes qui, mis bout à bout, composent une histoire plus vaste. Dans ce lieu coupé du monde, chaque point de vue est comme un fragment qui se réfléchit en un jeu de regards, de perspectives, d'émotions et de sentiments divers.
La narration à la première personne permet d'être au plus près de ces voix bien distinctes et de pénétrer leur conscience.

*
C'est un beau roman où les femmes ont une place de choix, un roman de mères, de soeurs, de filles, d'amantes, d'amies.
La nature est aussi très présente, les animaux, la montagne, la forêt, les rivières, les nuages, la pluie, véhiculant des sensations et des émotions différentes. Chacun conserve à sa manière des traces des drames familiaux.

*
J'ai été totalement envoûtée par l'écriture d'Irène Solà. C'est une écriture comme je les aime, à la fois délicate, intime, profonde, poétique, mélancolique, triste, douce, violente et emportée.
L'utilisation de phrases courtes, de jeux de juxtapositions et de répétions, donnent un rythme chaloupée et mélodieux très plaisant.

Ces voix sont comme des murmures portés par le vent. On ressent leur peine, leur ressentiment, leur solitude, leur peur, leur lutte pour survivre.

« … la peur s'était nichée en moi comme une maladie. Tout m'effrayait et je courais tout le temps. Je courais et courais et courais et la peur ne finissait jamais. Et je changeais de couchette et je dormais du sommeil inquiet de ceux qui ont peur de mourir. »

D'autres fois, elles se font enfantines et touchantes.

« Ca m'a plu parce que si je regardais les arbres et la neige et les sommets, je pouvais oublier la guerre et les pleurs de mes petits frères, comme des moineaux, et la peur et tout ça. Comme si la neige c'était de l'eau de javel. Propre, propre. Mais il ne faut pas être triste. Moi je ne pleure jamais. Des fois seulement je rêve et alors je pleure. »

*
On a l'impression d'être plongé à la fois dans un rêve, un monde secret et onirique, mais également emporté dans le passé des hommes.
Le cadre temporel est en perpétuel mouvement, donnant l'impression de voyager au milieu des tragédies de l'Histoire et des hommes.
La montagne et la terre catalane restent imprégnées des persécutions de centaines de femmes condamnées à mort pour sorcellerie entre le XVème et le XVIIIème siècle, de l'époque franquiste et des exécutions sommaires de la guerre civile.

« Et quand les brises printanières soufflent par la vallée ; quand le soleil printanier brille sur l'herbe flétrie de l'hiver, sur les berges de la rivière ; et sur le lac ; et sur les deux cygnes blancs de ce lac ; et fait surgir l'herbe printanière du sol spongieux des marécages – qui croirait que, par, une pareille journée, cette paisible vallée herbeuse médite l'histoire de notre passé ? Et de ses spectres ? Des gens chevauchent le long de la rivière, le long des rives où s'étendent côte à côte maints sentiers frayés un par un, siècle après siècle, par les chevaux d'autrefois – et de la brise fraîche souffle par la vallée, dans l'éclat du soleil. Par une journée pareille, le soleil est plus fort que le passé. »

*
Cette polyphonie de voix, le style décousu et fractionné, la narration qui s'entremêlent aux dialogues parfois dénués de ponctuation, donnent toute son originalité au texte.
Néanmoins, cela demande aussi des efforts d'adaptation. N'ayant pas été particulièrement attentive aux titres, je n'ai saisi que tardivement leur importance et j'ai donc dû relire certains passages et réfléchir à l'identité du narrateur.

*
Pour conclure, « Je chante et la montagne danse », est un récit étrange et original qui m'a emportée dans les montagnes pyrénéennes et m'a séduite par son aspect fragmentaire, sa narration polyphonique, son atmosphère intimiste et onirique, et la profondeur des émotions. La magnifique écriture d'Irène Solà complète les atouts de ce superbe roman. J'oublie souvent de parler des traducteurs et je dois souligner le magnifique travail de traduction d'Edmond Raillard qui a saisi avec beauté l'écriture poétique et mystérieuse d'Irène Solà.

Ce récit ne plaira sans doute pas à tout le monde mais je ne peux que vous recommander ce beau roman, couronné de quatre prix littéraires.
Un coup de coeur inattendu.
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Savez-vous que les Pyrénées catalanes sont terre de légendes ?
Moi je l'ignorais. Mais Irene Sola m'a embarquée avec elle au pays des géants et j'ai grandement apprécié cette immersion.
J'ai goûté au spectacle de l'orage tueur d'homme. J'ai écouté le murmure des chevreuils. J'ai cueilli les mots des sorcières qui enivrent les habitants. J'ai écouté la poésie d'Hilari qui ruisselle sur les arbres. J'ai aperçu les fantômes des soldats de la Retirada. J'ai taquiné la chienne qui se mêlait d'amour. J'ai entendu les grondements vengeurs des premiers habitants de la montagne, les ours...
J'ai écouté avec ravissement l'écho des montagnes.

Il est beau ce pays de hauteurs qui se visite à pieds. Il est dur aux hommes ce pays de pierres, de rocs, d'eau. Quelle est la place de l'homme dans cette immensité ? Quelle est la part de l'homme dans ce décor grandiose ?
Je me suis souvent posé ces questions au cours de cette lecture.
La montagne est vivante. Elle porte les stigmates du temps qui passe et quelques empreintes des hommes qui la foulent. Elle soigne sans rien demander en retour la folie des hommes. Elle apaise. Elle guérit aussi.

Un roman ou un long poème. Des fragments de vie. Des paroles qui s'envolent mais de très belles images incrustées au fond des yeux.
Un roman qui touche au coeur, à l'âme. Une écriture harmonieuse et sensible.

Un grand merci à Babelio et aux éditions du Seuil pour ce partage.
Un grand merci aussi à l'auteure pour ce doux moment de poésie si admirablement traduit par Edmond Raillard.
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Près de la frontière avec la France, dans les Pyrénées, cela fait huit ans que Sio vit seule avec ses deux enfants Hilari et Mia et le vieux Ton, depuis qu'un éclair a atteint la tête de Domenec le paysan poète, son mari, son homme. Ici c'est la nature qui commande, on apprend à faire venir les bébés en aidant les vaches à vêler. Les enfants devenus grands, fatigués d'être tenus en laisse, quittent le village assoiffés de liberté et qui, un jour, vingt ans plus tard, reviennent s'installer dans la montagne.

Irène Solà nous offre avec « Je chante et la montagne danse » sans aucun doute un des plus beaux romans de ce début d'année. Elle nous conte la vie d'un village de montagne, des gens rudes, solidaires, leurs peines, les drames, les fêtes, les légendes. Une vie minuscule comme un petit caillou, une vie qui tient dans la poche. Ce sont les voix de la nature qui nous raconte cette terre : l'orage, les champignons le chevreuil, la chienne fidèle et l'ours omniprésent. Il y a des sorcières, filles de l'eau, des géants et la guerre civile espagnole en toile de fond. Des personnages taillés dans les rochers, Oriol, Jaume, Sio, Mia, Cristina, Prin, Neus, des noms qui chantent dans nos oreilles et Hilari, qui compose des poèmes qu'il ne met jamais sur le papier pour ne pas les tuer, il les garde dans sa mémoire comme dans une commode bien rangée. La construction au fil des saisons, l'écriture limpide comme une source, poétique et sensuelle, tout est magnifique dans ce roman. Que la montagne est belle, sous la plume d'Irène Solà !

Merci infiniment aux Éditions du Seuil et à Babelio de m'avoir offert ce moment magique.


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Ma grand-mère était une catalane d'Espagne réfugiée en France après la période franquiste. Elle ne parlait que le catalan mais, malheureusement, je n'ai pas tellement eu le temps de la connaître et d'apprendre la langue. Tout juste suis-je capable de vous chantonner une comptine et quelques jurons ! Mais la culture catalane continue de m'habiter et c'est donc avec un grand plaisir que je me suis vu sélectionnée pour cette masse critique spéciale. J'en remercie Babelio et les éditions du Seuil.

Ce texte est tout simplement sublime et je le dirais également s'il n'y avait pas ces références au folklore, à l'histoire et au mode de vie catalans qui m'ont pourtant fascinés.

Car c'est d'abord grâce à la plume de Irene Solà que j'ai été subjuguée. Une plume très poétique mais plutôt sauvage. Ce n'est pas une poésie solaire, comme celle de Timothée de Fombelle par exemple. Ici, les mots résonnent dans la montagne qui peut être à la fois cocon protecteur et donneuse de mort. C'est une force tragique, vieille comme la Terre, qui traverse les mots de l'auteur. C'est beau parce qu'il n'y a que l'essentiel dans ce récit : des émotions vraies, des histoires intimes tissées dans le temps à travers beaucoup de peines et un peu de joie.

Irene Solà a choisi de découper son récit en plusieurs chapitres qui sont autant de points de vue narratifs différents. L'originalité réside dans le fait que les narrateurs ne sont pas toujours des êtres humains : il peut s'agir d'animaux ou d'éléments de la nature tel que l'éclair ou des champignons ! de ce fait, elle utilise beaucoup les cinq sens de son lectorat pour l'immerger dans son récit.

Ce roman est une très belle ode à la vie, à l'amour, à la reconstruction, et à ce qui représente l'esprit catalan : l'importance de la transmission intergénérationnelle, l'humanisme, la constance, la douceur de vivre.

Que vous soyez ou non catalans, je suis bien certaine que ce récit saura vous embarquer dans les Pyrénées à la suite des dones d'aigua, chevreuils, fantômes et autres personnages qui peuplent ces montagnes fières.
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Grâce aux éditions Seuil, via net galley, j'ai eu le plaisir de lire Je chante et la montagne danse d'Irène Solà.
Je chante et la montagne danse nous emmène dans un village perché en haut des Pyrénées qui conserve la mémoire des drames familiaux, des persécutions guidées par l'ignorance, des exécutions sommaires de la guerre civile.
Les légendes et le folklore catalans se mêlent aux histoires bien réelles de ceux qui habitent ce lieu coupé du monde et protégé par ses montagnes.
Je chante et la montagne danse est un très joli roman grâce à une écriture très poétique.
Une écriture qui nous narre des histoires transmises de génération en génération.
Chacune des voix nous raconte les nuages, l'éclair qui foudroya un homme..
Des histoires qui sont bouleversantes, surprenantes et qui ne m'ont pas laissée indifférente.
C'est une jolie ode à la nature qui nous ensorcelle et nous entraîne dans les montagnes, vers un autre ailleurs..
J'ai beaucoup aimé ma lecture, j'ai laissé mon imagination s'envoler et j'ai rêvé le temps de ces quelques pages.
Je vous invite vous aussi à découvrir Je chante et la montagne danse que je note cinq étoiles.
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