J'ai accepté de lire ce roman en masse critique privilégiée à la seule lecture du résumé, car je dois reconnaître que ni la couverture un peu vieillotte, ni le titre aux couleurs rose flashy ne m'attiraient.
C'est donc avec appréhension que j'ai commencé ce livre, mais dès les premières lignes, j'ai su que ce roman correspondait à mes goûts. Je suis complètement tombée sous le charme de cette histoire, l'écriture d'
Irène Solà m'a totalement captivée et emportée.
Je remercie l'équipe de Babelio, les éditions du Seuil et l'auteure
Irène Solà pour ce superbe cadeau. L'habit ne fait pas le moine, c'est une belle leçon que j'ai apprise, moi qui suis souvent sensible à une couverture ou un titre.
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Chaque chapitre s'ouvre comme une petite nouvelle, nous contant au fil des décennies, sur trois générations, l'histoire d'hommes et de femmes. Au rythme lent du temps qui s'écoule, amitiés, mariages, naissances, mort et deuils se joignent en une farandole qui repose sur le cycle naturel de la vie.
L'histoire débute près du village de Camprodon, en Catalogne, lorsqu'un paysan, Domènec, alors sur le flanc d'une montagne, est foudroyé lors d'un gros orage, laissant sa femme Sió s'occuper seule, de leur ferme et de leurs deux jeunes enfants, Mia et Hilari.
« … la scène avait été saisissante. Cela avait fait une telle lumière qu'on n'aurait plus jamais besoin de s'éclairer. le couteau avait appelé l'éclair et l'éclair blanc avait atteint la tête de l'homme comme une cible et lui avait fait une raie au milieu des cheveux, et les vaches avaient fui, le diable au corps, comme une farce. »
Puis les chapitres suivants s'ouvrent sur de nouveaux personnages, donnant, à tour de rôle, la parole à de nombreuses voix, tantôt un des habitants du village, tantôt un personnage plus surprenant comme un chevreuil, un ours, la chienne Lluna, des champignons, ou la montagne elle-même.
L'auteure puise également dans les mythes et les légendes catalanes pour imprégner son récit d'un réalisme magique. Ainsi les sorcières, les fantômes qui hantent la montagne, et les dones d'aigua, participent eux aussi à restituer l'histoire des hommes.
L'auteure crée ainsi un kaléidoscope d'ombres et de lumières, tissant des liens complexes qui, mis bout à bout, composent une histoire plus vaste. Dans ce lieu coupé du monde, chaque point de vue est comme un fragment qui se réfléchit en un jeu de regards, de perspectives, d'émotions et de sentiments divers.
La narration à la première personne permet d'être au plus près de ces voix bien distinctes et de pénétrer leur conscience.
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C'est un beau roman où les femmes ont une place de choix, un roman de mères, de soeurs, de filles, d'amantes, d'amies.
La nature est aussi très présente, les animaux, la montagne, la forêt, les rivières, les nuages, la pluie, véhiculant des sensations et des émotions différentes. Chacun conserve à sa manière des traces des drames familiaux.
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J'ai été totalement envoûtée par l'écriture d'
Irène Solà. C'est une écriture comme je les aime, à la fois délicate, intime, profonde, poétique, mélancolique, triste, douce, violente et emportée.
L'utilisation de phrases courtes, de jeux de juxtapositions et de répétions, donnent un rythme chaloupée et mélodieux très plaisant.
Ces voix sont comme des murmures portés par le vent. On ressent leur peine, leur ressentiment, leur solitude, leur peur, leur lutte pour survivre.
« … la peur s'était nichée en moi comme une maladie. Tout m'effrayait et je courais tout le temps. Je courais et courais et courais et la peur ne finissait jamais. Et je changeais de couchette et je dormais du sommeil inquiet de ceux qui ont peur de mourir. »
D'autres fois, elles se font enfantines et touchantes.
« Ca m'a plu parce que si je regardais les arbres et la neige et les sommets, je pouvais oublier la guerre et les pleurs de mes petits frères, comme des moineaux, et la peur et tout ça. Comme si la neige c'était de l'eau de javel. Propre, propre. Mais il ne faut pas être triste. Moi je ne pleure jamais. Des fois seulement je rêve et alors je pleure. »
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On a l'impression d'être plongé à la fois dans un rêve, un monde secret et onirique, mais également emporté dans le passé des hommes.
Le cadre temporel est en perpétuel mouvement, donnant l'impression de voyager au milieu des tragédies de l'Histoire et des hommes.
La montagne et la terre catalane restent imprégnées des persécutions de centaines de femmes condamnées à mort pour sorcellerie entre le XVème et le XVIIIème siècle, de l'époque franquiste et des exécutions sommaires de la guerre civile.
« Et quand les brises printanières soufflent par la vallée ; quand le soleil printanier brille sur l'herbe flétrie de l'hiver, sur les berges de la rivière ; et sur le lac ; et sur les deux cygnes blancs de ce lac ; et fait surgir l'herbe printanière du sol spongieux des marécages – qui croirait que, par, une pareille journée, cette paisible vallée herbeuse médite l'histoire de notre passé ? Et de ses spectres ? Des gens chevauchent le long de la rivière, le long des rives où s'étendent côte à côte maints sentiers frayés un par un, siècle après siècle, par les chevaux d'autrefois – et de la brise fraîche souffle par la vallée, dans l'éclat du soleil. Par une journée pareille, le soleil est plus fort que le passé. »
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Cette polyphonie de voix, le style décousu et fractionné, la narration qui s'entremêlent aux dialogues parfois dénués de ponctuation, donnent toute son originalité au texte.
Néanmoins, cela demande aussi des efforts d'adaptation. N'ayant pas été particulièrement attentive aux titres, je n'ai saisi que tardivement leur importance et j'ai donc dû relire certains passages et réfléchir à l'identité du narrateur.
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Pour conclure, «
Je chante et la montagne danse », est un récit étrange et original qui m'a emportée dans les montagnes pyrénéennes et m'a séduite par son aspect fragmentaire, sa narration polyphonique, son atmosphère intimiste et onirique, et la profondeur des émotions. La magnifique écriture d'
Irène Solà complète les atouts de ce superbe roman. J'oublie souvent de parler des traducteurs et je dois souligner le magnifique travail de traduction d'
Edmond Raillard qui a saisi avec beauté l'écriture poétique et mystérieuse d'
Irène Solà.
Ce récit ne plaira sans doute pas à tout le monde mais je ne peux que vous recommander ce beau roman, couronné de quatre prix littéraires.
Un coup de coeur inattendu.