AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"À l'été 1956, je revenais d'un désert brûlant et poussiéreux, rentrant tout simplement en Russie, au petit bonheur. Personne ne m'y attendait nulle part, personne ne m'y appelait, parce que j'avais lambiné une petite dizaine d'années avant de revenir."

Voilà comment Soljenitsyne commence son histoire.
"La maison de Matriona" fut publié en 1963 dans le magazine Novy Mir en tant que deuxième courte prose de l'écrivain, et selon les experts il s'agirait de sa nouvelle la plus lue. "Le plus lu" ne signifie pas toujours "le meilleur", mais le destin de Matriona Vassilievna m'a solidement remuée.

Soljenitsyne n'est jamais tendre avec ses héros, et cette nouvelle ne déroge pas à la règle. C'est une histoire simple de la campagne russe, et de son âpre réalité. Si la véritable "âme russe" se cache quelque part dans ces larges étendues herbeuses aux villages clairsemés reliés par le chemin de fer, qui d'autre pourrait la décrire mieux qu'un Russe ? Et tout comme dans "Une journée d'Ivan Denissovitch", Soljenitsyne est d'une redoutable efficacité.

Le professeur de mathématiques et ancien prisonnier de goulag Ignatitch voudrait retrouver une vie normale. N'importe où; mais loin du monde, dans quelque endroit perdu "au coeur de la Russie", comme il le dit lui-même. Il descend du train dans l'un de ces trous paumés sur le trajet Moscou - Mourom, à l'endroit au nom sauvagement poignant de Torfoprodoukt.
Il est difficile de trouver un logement. Faute de mieux, Ignatitch finira par trouver gîte et couvert chez la vieille Matriona Vassilievna, entre quatre murs branlants, en compagnie de cafards et d'un chat boiteux.
Pendant les soirées passées dans la même pièce, à partager le gruau et les patates bouillies, Ignatitch écoute l'histoire de la vie de Matriona. Il va apprendre que son mari Iéfime était un homme bon, qui ne l'a jamais battue. Qu'elle a donné naissance à six enfants, et qu'elle les a enterrés tous, l'un après l'autre. Qu'elle devait épouser Faddei, le frère de Iéfime, mais il n'est pas revenu de guerre...
Faddei va bien finir par rentrer, et seulement parce qu'il trouve Matriona mariée à son propre frère l'empêche de les tuer tous les deux à la hache. Il va épouser une autre Matriona... rien qu'à cause de ce satané prénom !

Après la mort tragique de Matriona, Ignatitch réfléchit sur cette femme qui aidait toujours les autres dans leurs travaux difficiles, sans jamais rien demander en retour. Elle ne savait pas dépenser, ni en vêtements, ni pour améliorer sa vie. Incomprise par ses soeurs, son mari et les villageois, elle n'était pour tout le monde qu'une souillon sotte et désordonnée. Mais elle est toujours restée amicale et bonne. Vous avez presque envie de pleurer, quand Ignatitch arrive à sa conclusion :

"Nous vivions tous à côté d'elle, sans comprendre qu'elle était ce Juste du proverbe, ce Juste sans lequel ne subsiste aucun village. Ni aucune ville. Ni notre Terre entière."

Dans "L'Idiot", Dostoïevski fait dire à son prince Mychkine que "c'est la beauté qui sauvera le monde". Il se pourrait tout aussi bien que ce soit la bonté... ou que les deux écrivains parlent de la même chose.
5/5. Une nouvelle très courte, forte comme le tabac russe avec lequel on bourrait les papirosi Belomorkanal, fumées par les seuls ouvriers pauvres qui travaillent sur ces longs chemins de fer qui relient un nulle part à l'autre. La vraie Russie sans artifices.
Commenter  J’apprécie          7624



Ont apprécié cette critique (69)voir plus




{* *}