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Critique de isanne


Que dire sur ce livre qui n'ait déjà été dit ? Qu'ajouter aux critiques et aux commentaires déjà écrits ? Et pourtant, j'ai envie d'en parler tant ce livre reste présent dans mon esprit, la dernière page tournée.
Il y a des livres qu'on ouvre pour "imaginer", d'autres pour "voyager", d'autres pour "apprendre" - découvrir une autre Culture, un autre pays, un période de l'histoire du monde.
Certains sont légers, véritables nuages de l'esprit qui s'envole en les parcourant, au contraire de ceux qui maintiennent l'esprit sous emprise, qui empoisonnent les pensées, empêchant presque de respirer, on ne peut s'en éloigner : ce récit est de ceux-là !

Alexandre Soljenitsyne que je connaissais pour avoir lu des recueils de nouvelles - La Maison de Matriona ou Zacharie L'escarcelle, sait en impressionniste qu'il est, faire surgir en trois coups de crayons, trois phrases des personnages habités d'autant de réalité que possible. En deux pages, la nouvelle - genre où il excelle, fait naître un être dont le souvenir va vous accompagner bien après la lecture.

Et bien, là, c'est le même talent mais de façon démultipliée. En montant les marches du pavillon 13, celui des cancéreux, vous allez rencontrer une multitude de personnages, tous différents, comme autant de facettes de la Russie, comme autant de regards sur la société russe et l'Histoire de ce multiple pays.
Si les pages qui se déroulent dans ces chambres, dans ce lieu de soin, sont parfois terribles à lire, les pages qui constituent la dernière partie du récit le seront bien davantage, quittant cette "unité de lieu" qu'est l'hôpital, elles réunissent et ordonnent les destinées de tous les protagonistes, pour évoquer les caractères qui composent la société russe, pour évoquer les différences de pensées qui ont écrit l'histoire de pays et suggérer ce que sera l'avenir individuel et collectif.

De leur séjour au Pavillon, vous partagez les journées qu'il faut remplir des obligations et meubler des moments de solitude inéluctables. Les décisions à prendre varient en fonction du temps qui passe, en fonction du regard qui change sur la maladie, en fonction de l'espace qui s'amenuise vers l'inéluctable : le traitement refusé hier, s'avère le seul acceptable aujourd'hui et sera obsolète demain...

Des liens se tissent entre les malades, des rancoeurs s'édifient, construites du passé de chacun. Si certains se reconnaissent dans la même misère partagée, les mêmes geôles traversées, ils n'échangeront au mieux que quelques mots, quelques souvenirs pudiques mais ne créeront aucun lien car sur l'inhumanité du passé, aucun élan d'amitié ne peut fleurir. Si certains reconnaissent en l'autre, celui qui les a dénoncés, celui qui a "profité", celui qui a continué à vivre pendant qu'on les enfermait, qu'on les déportait, qu'on leur imposait la relégation, aucune haine ne survit cependant sur l'avilissement que celui-ci a fait subir à ceux-là.
Comme le dit un personnage : "L'homme est tyran, traître ou reclus" et les journées qui passent distribuent tous les malades et personnels du service croisés au sein des trois catégories.

L'un des personnage m'a émue aux larmes - petit à petit inconsciemment, je lui ai donné la stature et les traits de Varlam Chalamov. Cet homme relégué, qui s'est traîné jusqu'à l'hôpital au plus mal, alors qu'il n'en espère finalement aucun salut, cet homme brisé qui garde son calme et reste digne devant la calomnie et les idées qui l'ont anéanti, il est celui qui n'a plus sa place dans cette vie, où le cours de l'Histoire ne s'est pas arrêté pendant les années de camp, de sorte que la vie qu'il entrevoit, il la refuse, n'aspirant finalement qu'à pouvoir retrouver le lieu isolé de sa relégation, son jardin et ceux dont il a partagé les ténèbres. Si l'amnistie arrive un jour, alors pourra-t-il espérer aller à Leningrad caresser les colonnes de Saint Isaac, les édifices n'ont jamais pris parti contre l'Homme et il n'en craint donc rien de mauvais.

Quand Alexandre Soljenitsyne évoque les animaux - et il le fait souvent, c'est pour mieux faire entrevoir dans leur regard, la part d'humanité qui a déserté l'homme : c'est Jouk le chien réconfortant ou la macaque placide du zoo qui renvoient, par les sévices subis l'homme à sa lâcheté et éteignent l'espoir d'une autre vie possible.

De celui qui ne peut vivre sans oublier les automatismes de survie en camp à celle qui attend son mari détenu et qui implore " Ne l'avez-vous donc pas connu, là-bas ,", de ce jeune homme pauvre qui ne rêve que de s'instruire et qu'on va amputer à ceux qui, malgré les promesses balbutiantes d'une thérapie nouvelles des rayons, vivent la fin d'une existence, de ces anonymes qui continuent à rejeter celui qui a été arrêté sans raisons à ces deux femmes qui essayent de le faire à nouveau exister, il reste les visages ancrés dans mes pensées et je ne peux les quitter. Même les plus antipathiques d'entre eux gardent, grâce aux prouesses et au talent de l'écriture une réalité qui ne s'efface pas. le récit ne m'a jamais paru long, ni ennuyeux : oserais-je dire que j'aurais aimé qu'il se poursuive encore ?

Parfois, comme un clin d'oeil, on pose au lecteur la question de savoir quel personnage de récit, il aurait aimé rencontrer, je sais aujourd'hui que ce serait Oleg Filemonovith Kostoglotov ! Merci à "l'ami" qui me l'a fait rencontrer et m'a peut-être ainsi donné les clefs pour reprendre la lecture des "Récits de la Kolyma" de Varlam Chalamov.


Et merci à ceux qui auront eu la patience de lire cet avis bien long !


(Avril 2021)

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