Oedipe à Colone est un chant du cygne.
Elle a été lue devant les sages d'Athènes par le vieux
Sophocle lui-même, très âgé, et dont les enfants, ces rapaces, voulaient mettre en doute les facultés intellectuelles, afin de s'emparer de la gestion de ses biens..
Superbement, le vieux dramaturge, en guise de plaidoirie, lut seulement, dit-on, devant le tribunal, sa tragédie,
Oedipe à Colone, la dernière de ses pièces, qui a pour sujet l'apothéose -au sens fort- d'un exilé et d'un maudit, Oedipe, qui, au seuil de sa vie, gagne enfin le repos et retrouve la grandeur et la gloire perdues..
Cela suffirait seul à inspirer le respect..mais le respect pour Oedipe à Colonne, ne suffit pas: il faut aussi aimer cette magnifique tragédie! Et combien sont fortes les raisons de l'aimer!
Dans aucune autre tragédie le paysage grec, les cités, sanctuaires et temples ne sont aussi fortement présents.
Oedipe a couru le monde, chassé de partout, après son inceste et son parricide involontaires.Seule la petite
Antigone au sombre destin, l'a accompagné. Elle est ses yeux, qu'il s'est crevés pour se punir, elle est son bâton de vieillesse. Et maintenant les voici tous deux aux portes d'Athènes, une jeune cité alors gouvernée par un jeune roi, encore inconnu...Il s'appelle Thésée.. Dans les faubourgs d'Athènes, se trouve un sanctuaire, interdit à toute incursion, par la loi farouche des Erynnies. Personne n'oserait y mettre le pied.
Pas Oedipe: il entre, il sait que c'est là que les dieux , enfin apaisés, l'emporteront et l'enlèveront loin des regards haineux ou horrifiés des hommes, il sent que c'est là qu'il va enfin trouver la paix,celle de la mort, qui est sans limite..
Les lieux sont d'une force exceptionnelle: on VOIT le sanctuaire, on VOIT par les yeux du messager l'apothéose d'Oedipe dans un grand coup de tonnerre.
Les personnages aussi ont une gravité, une aura étrange: Oedipe,
Antigone, Thésée...des êtres de légende, dont on mesure ici la vraie grandeur mythique par comparaison avec la petitesse trop humaine d'une Ismène, d'un Polynice, ou même d'un Créon.;
La troisième raison d'aimer Oedipe à Colonne réside dans une langue bouleversante de force, de pureté , presque détachée de toutes contingences, aérienne et pourtant profonde comme la sagesse grecque.
Oedipe à Colonne est un chant poétique et inspiré d'un bout à l'autre : presque plus de rupture entre épisodes et stasima -les phases d'action et de chant choral alternées de la tragédie grecque;
Un chant du cygne, vraiment, à lire et à relire...et pour les hellénistes, dans le texte, tant la langue y est merveilleuse..