Citations sur Le témoin (29)
Il est de ces hommes qui ne s'encombrent peu et considèrent la propriété comme un état provisoire, non comme un dû.
(...) les crimes et les délits ne manqueront jamais, ils s'écouleront en flux continu une rivière sordide, boueuse et intarissable, sur laquelle vogue la justice, sans destination si ce n'est de se maintenir à flot, de ramer, de souquer quand l'ordre en est donné, de garder invariablement le cap.
La version la plus simple de la culpabilité, la plus évidente, est souvent celle qui l’emporte, mais peut-être aussi celle qui a le moins de chance d’être fidèle à la complexité des faits.
...car, si la culpabilité est individuelle, la responsabilité est collective.
Aux comparutions immédiates, il assiste à la lutte des classes – à nu, à cru, à l’os -, une guerre, sociale, civile et intérieure, de quelques-uns à l’allure prospère et éclairée contre beaucoup d’autres, les crasseux et les insolents , à une guerre, durcie et systématique, de l’ordre contre le désordre, il assiste à la mise en scène d’une réconciliation impossible : nous n’avons rien en commun disent quelques-uns à beaucoup d’autres.
(p.101)
(...) on paye son crime avec son temps, une quantité de temps de liberté qu'il faut céder quand c'est tout ce que possèdent les insolvables, leur seule propriété, il s'agit de payer sa dette avec le seul bien dont on jouit encore, un paquet de mois, d'années, du temps de vie qui, en prison, devient un temps pour rien, mortifère, asphyxié, vide, une matière noire qui aspire et siphonne la consistance des jours.
(...) la machine gronde, turbine, crache, brûlante et fumante et Bart (...) se représente ces comparus immédiats comme des marchandises déposées sur le tapis roulant d'une chaîne d'assemblage, d'une ligne de montage, de démontage en l'occurence, (...) des coupables devenus les produits manufacturés du système pénal (...) ; il imagine ces hommes (...) avalés par la trappe de la justice et recrachés à l'autre bout de la chaîne répressive.
(...) Bart avait pitié des juges, comment ne pas, qui ne peuvent se fier à leurs sentiments, doivent se contenter de la satisfaction du travail accompli, du verdict rendu comme gage d'une conscience tranquille, se contenter d'avoir fait le bien, quand le bien - illusion morbide - n'est que la perpétration d'un dogme.
(...) Bart a vu des juges appliquer la loi plutôt que rendre la justice, a vu des juges sourds au sentiment de justice, car s'ils écoutaient ce sentiment, s'ils s'écoutaient eux, le bam bam dans leurs entrailles, sans doute ne pourraient-ils plus exercer leur tâche, leur mission, qui est de suivre le Code pénal, de se fier à la lettre du droit, agissant comme si droit et justice coïncidaient dans une parfaite homothétie, se superposaient, s'abouchaient pour constituer une forme définitive et parfaite. (...); la responsabilité, déjà si lourde, de condamner deviendrait écrasante, inassumable, et le doute mis à nu.
(...) les individus existent moins que les liens qui les unissent, existent autant que les communautés auxquelles ils appartiennent, puisque étant reliés dans ce qu'on nomme société nous sommes collectivement mêlés à l'affaire, partie prenant de tout ce qui advient, puisque la société existe et que nous y sommes jusqu'au cou, et qu'elle est en nous, incrustée, martelée - victimes et complices, tous coupables (...).