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Critique de Diabolau


Pétrichor ou l'odeur de la terre mouillée : comment des gens que l'on a côtoyés et même chéris pendant des années peuvent nous avoir complètement trompés sur leur personnalité profonde ? C'est à cette question que cette nouvelle cherche à répondre, certes de façon un peu extrême, pour un début de recueil sur les chapeaux de roue. On sent bien venir quand même le truc louche, mais on ne se doute pas que ça ira jusque-là… Une nouvelle oppressante, excellente, où l'auteur a su en particulier très bien tirer partie de la difficulté de se comprendre pour deux personnes qui ne parlent pas la même langue.

L'huissier de justice, les vautours et le cabriolet : un huis-clos avec des vautours, il fallait le faire. Il l'a fait. Et avec quel brio ! Évidemment, la métaphore entre l'anti-héros de cette histoire, un huissier de justice zélé et sans scrupules, et ces « animaux de compagnie » un peu particuliers, crève les yeux. L'huissier est un vautour, il en a même la physionomie, mais au fur et à mesure que l'on suit ses introspections, on découvre un personnage bien plus complexe que la simple ordure qu'il est au premier abord, avec ses fragilités. Sans conteste l'une de mes préférées.

Le trou de ver dans la maison du crack : une performance encore que celle-ci, tout entière écrite sous forme de déposition à la police de la part d'un junkie qui tente d'expliquer la mort des deux colocs avec lesquels il squattait (je ne spoile pas en le disant, on le sait dès le début). Sauf que le junkie en question a une gouaille et un bagout supérieurs à ceux de notre Jawad national, qui, après avoir hébergé les terroristes du 13 novembre, a su déclencher un mélange d'horreur, d'hilarité et même d'admiration par son incroyable sens de la répartie, y compris pendant son procès.

Tout est dépeuplé : l'auteur adopte ici un style beaucoup plus dépouillé, bannissant ses habituelles et jouissives envolées lyriques et lexicales, probablement par pudeur pour cette évocation du drame du Bataclan (quelle transition avec Jawad !) On ne peut qu'être impressionné par ses facultés de poulpe, à jouer ainsi sur tous les registres avec une égale aisance. Une nouvelle assez courte, qui sonne très juste.

Magmat : dénonciation des crimes industriels, c'est celle que j'ai le moins aimée, et cela me rassurerait presque… Après avoir maintenant lu pas mal de Soulier, je commençais à croire que ça n'arriverait jamais. Un personnage de flic sans doute un poil classique, une surabondance de termes lexicaux inusités, voire de néologismes ? (je ne sais pas, je me refuse à lire avec un dico à côté de moi). Pour la première fois, j'ai vraiment eu l'impression que l'auteur en faisait trop. Et puis la fin m'a semblé totalement délirante… Certes, peut-être pas plus irréaliste qu'un trou de ver dans une chambre de junkies, ou, comme on va le voir dans la suivante, d'une soucoupe en bois qui voyage à des millions d'années-lumière, mais cette fois, le côté grotesque de ce « Magmat » m'a un peu éjecté de l'histoire.

Le transastral ZX08 : une histoire certes délirante, mais qui ne m'a pas dérangé, car le vrai focus ici est l'amitié improbable mais bien réelle entre un gamin surdoué et un adulte handicapé mental. D'un côté un imbécile heureux qui ne se pose aucune question, de l'autre un enfant qui s'en pose beaucoup plus qu'il ne devrait s'en poser à son âge. Et le duo fonctionne à merveille.

Les goules : dénonciation originale des crimes nazis, et, chose plus rare, dénonciation des témoins muets et passifs, de tous ceux qui savent mais qui laissent faire, quand ils ne se font pas complices. Ici c'est en Autriche, mais cela pourrait se transposer dans la France pétainiste et dans bien d'autres endroits, à vrai dire.

L'appel du Dieu-Ventre : nous voilà au XIXème siècle, ou des naufragés vont devoir survivre (?) sur une île où il n'y a, peu ou prou, rien à manger. Écrite sous forme de journal intime, cette nouvelle illustre à merveille cette maxime de Diderot : « la voix de la conscience et de l'honneur est bien faible quand les boyaux crient. » Comme toujours, Soulier excelle dans les situations déshumanisantes, il est donc ici parfaitement à son aise. On sent bien la folie qui gagne progressivement le journal du narrateur, cependant les termes biffés ne produisent pas toujours l'effet recherché car ils apparaissent en gras et souligné sur la liseuse, ce qui est un peu perturbant. Âmes sensibles s'abstenir, la fin, évidemment, est un peu âpre.

En résumé, un recueil de très bonne facture. La « recette » Soulier fonctionne presque à tous les coups. Car oui, il y a une certaine « recette » Soulier, malgré la variété de ses écrits. Quel auteur n'en a pas ?
La recette Soulier, c'est d'abord une intention, un message subliminal à faire passer. Puis, c'est une situation resserrée, très cadrée, presque dépouillée, quelquefois un seul lieu où tout va se passer. Pour moi, Soulier est un maître du huis clos. Puis, ce sont quelques personnages triés sur le volet, parfois même deux, mais avec une véritable épaisseur : son développement des personnages est à montrer en exemple dans les masterclasses. En-dehors de ça, pas de fioritures : pas de seconds rôles dont on se tamponne, pas de descriptions interminables. Et puis, bien sûr, c'est le style percutant, la diversité lexicale, le sens de la formule qui font le reste du boulot, servant de liant à tout cela, avec une étonnante faculté à changer de ton en fonction du contexte.
Et ça se lit bien quand même. Je veux dire, je ne suis pas un affreux élitiste, et il y a une toute petite voix au fond de moi qui dit : si on obligeait tous les fans de Marc Lévy à lire au moins une nouvelle de Soulier, je pense qu'on pourrait avoir de divines surprises…
Seulement voilà : comment faire ce tour de passe-passe ?
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