LE GUERRIER. Les générations à venir seront cannibales, très honorable médecin. Les générations à venir s’entre-dévoreront comme nous l'avons fait. Peut-être pourriez-vous inventer un remède, vous qui savez guérir tant de maladies. J'ai choisi le métier de soldat pour défendre mon pays, mais ceux à qui j'ai donné le pouvoir de disposer de ma vie ont abusé de ma confiance.
ESCHOUORO. Pas d'impertinence, monsieur le glaneur des arbres. Aujourd'hui doit être un jour de représailles. C'est le moment, pendant qu'ils sont gavés et pleins d'eux-mêmes. La gentille petite cérémonie d'Aroni doit se terminer dans le sang. Ma patience est à bout. Si les humains gardent encore un petit bosquet derrière leur case, c'est uniquement pour pouvoir y déverser leurs détritus. Des chiens crevés, des excréments, voilà tout ce qu'on y trouve. Toute la forêt est infestée. Infestée par les cochonneries des humains.
LE MORT. Depuis toujours j'ai désiré venir ici. C'est ici ma demeure. J'ai toujours eu un grand désir d'y revenir. Là-bas, rien ne me retenait. Je ne possédais rien et je n'avais envie de rien. Mais les arbres obscurs et la glèbe épaisse m'ont aspiré. Quand je suis mort, je suis tombé dans les courants en marche sous la terre ; quand est venu le grand appel, j'étais prêt. J'ai descendu les grands courants sous le grand océan ; j'ai descendu les grands courants sous les mers immenses. J'ai traversé, pour resurgir, la croûte dure qui se forma jadis de la première vomissure du Père de la Forêt.
Nous étions si proches de la grandeur de Troie et de la Grèce… Enfin une vraie guerre ! Une guerre sans raison… Comme elles doivent être.
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