"Éviter de mettre des mots sur une histoire pour prétendre qu'elle n'a jamais existé n'efface rien ."
Guillaume, si prolixe, se montre plein de finesse dans son analyse du péril encouru par les taciturnes. Ces inquiets, timides, handicapés du verbe, perçus, c'est selon, comme hautains ou blasés.
Éviter de mettre des mots sur une histoire pour prétendre qu'elle n'a jamais existé n'efface rien.
A moins de l'avoir enregistrée, la voix des morts disparaît vite. Si celle de maman réapparaissait, je serais submergée.
Et voilà cet imprimé qui vient tout bousculer.
Non seulement ,il anéantit mes efforts pour tenir les réminiscences de ma mère à distance mais il prouve que l état d Israël est passé outre son geste pour l honorer .Je ne peux imaginer qu il n y ait pas eu enquête préliminaire ,vérifications.La distinction accordée post mortel n a rien d un blanc - seing- d ailleurs qui l imaginerait- mais elle révèle qu avant de se transformer par jalousie en épouse assassine, ses six enfants abandonnés en pleine confusion, le bien , le mal ,les sentiments , les émotions ,la passion , aimer ,ne plus aimer,jusqu ou aller ,débrouillez vous ,je n en peux plus , elle a cru ,vécu ,adore un autre homme que mon père ,vibre pour d autres causes que la sienne.elle fit une jeune femme pleine de courage prête à risquer ses jours pour des bambins perdus.qui le savait ?
Ma grand-mère n'a jamais été en retard d'une escapade, y compris dans des lieux complètement passés de mode aujourd'hui comme ces gorges du Sierroz près du lac du Bourget. Un site charmant, autrefois incontournable, mais vu par un temps exécrable. Le climat trop humide avait contribué à lui pourrir le voyage.
Dire "maman" c'est refuser de quitter son statut d'enfant, se lover dans un cocon, s'y trouver à l'aise.
"Fille" signifiant à l'époque rien moins que putain. La punition d'enfanter seule à hauteur de l'infamie d'avoir couché sans être mariée.
Oui, elle a raison. Je le discerne aussi ce Non abbiate paura (n'aie pas peur) destiné à ceux qui vont prendre la mer.
En découvrant cette injonction si parfaitement adaptée au destin de ma grand-mère prête à se jeter à nouveau, tête la première, dans son aventure avec Armando, je suis dans un tel état d'esprit, si lasse de courir après des spectres, tellement anxieuse à l'idée de déflorer des secrets, de faire danser à nouveau les mots, de toucher à ce qu'il ne faut pas, comment oses-tu recommencer, ce qui est passé est passé, que je l'ai prise pour moi.
- Merci ,merci beaucoup Monsieur , répétais je la premiere fois
que je parlais à Léon (note:un vieux monsieur juif aide par la mère de l'auteur quand il était enfant
-comment ça merci?repondit-il .C est moi qui dis merci à votre mere .si elle n avait pas été la ,je n y serais plus .
Et moi tout de suite si impatiente que quelqu un me parle d elle: dites ,monsieur, comment était - elle quand vous l avez connue?
-Pensez donc , j avais dix ans! Je ne me souviens d absolument rien de votre maman.
Suis je bête.