Ceci équivaut à une analyse personnelle, et non un extrait lu dans ce livre.
Rien n'avait préparé la médecine à affronter l'épidémie de grippe espagnole qui ravagea le monde en 1918 faisant 27 millions de victimes. En France, la grippe arriva en juillet 1918 en s'attaquant à des populations déjà éprouvées par les privatisations, et disposant d'une couverture médicale dégradée: depuis 1917 la mortalité infantile était remontée en France. Ensuite elle fut répandue dans toute l'Europe, elle fit sans doute plus de 15 à 20 millions de victimes en Afrique et en Asie...Et les États-Unis comptèrent environ selon les chiffres enregistrés 550 000 décès. Pour un américain mort à la guerre, la grippe et la pneumonie qui l'accompagnait en tuèrent dix...Les cercueils vinrent à manquer. Si cette épidémie meurtrière faucha beaucoup de ceux que la guerre avait épargnés; il faudra attendre l'arrivée du sida pour qu'une maladie contagieuse déclenche un tel trouble dans l'opinion.
Lorsque, séjournant à l’hôtel au bord du lac Léman, à Genève, l’écrivain Romain Rolland, prix Nobel de littérature en 1915, développa les symptômes de la grippe espagnole, le personnel de l’hôtel refusa d’entrer dans sa chambre. Sans les soins dévoués de sa vieille mère, venue lui rendre visite en Suisse, il n’aurait vraisemblablement pas survécu.
On serait tenté de condamner l’insensibilité des membres du personnel mais, en réalité, leur conduite a probablement limité la diffusion de la maladie et peut-être même sauvé des vies; car, sans le savoir, c’est un véritable petit cordon sanitaire, très localisé, qu’ils imposèrent autour du malheureux Romain Rolland.
Le journal italien le plus important, le Corriere della Sera, adopta une posture originale en décidant de publier le nombre de décès quotidien causés par la grippe, jusqu'au moment où les autorités l'obligèrent à mettre fin à ce décompte, sous prétexte qu'il entretenait l'anxiété parmi les citoyens.
Apparemment, les autorités ne se rendirent pas compte que le silence observé à partir de ce moment par le quotidien sur la question provoqua une angoisse encore plus forte. Après tout, les gens n'assistaient-ils pas jour après jour au défilé macabre des corps morts dans leurs rues et leurs villages ?