Ou s'arrête la réalité, où commence la fiction. C'est toute la difficulté de ce roman. En partant de son histoire de famille,
Valentin Spitz tisse petit à petit une intrigue autour de sa grand-mère, les vrais hommes de sa vie et sa fausse disparition.
« Dire que tout cela avait commencé par une entrecôte avec ma grand-mère et un dictaphone »
Qui penserait en effet qu'une entrecôte pouvait marquer le début d'une histoire si passionnante et le premier acte d'indépendance d'une femme.
Dans la famille Lamour on prend le nom de la mère, c'est une loi instituée par la grand-mère, Nicole. C'est une famille matriarcale où les femmes ne s'embarrassent pas d'époux. Lucas Lamour a grandi entouré de femme, sa mère bien sûr, centre du monde, centre de tout. Brillante avocate travaillant sans cesse mais toujours présente pour lui raconter des histoires de princesses héroïques sur leur cheval qui sauvaient le monde. Et sa grand-mère, Nicole dont nous découvrons la vie riche et rocambolesque.
Nicole a connu l'occupation, le rationnement, l'enfermement dans leur appartement avec sa mère malade qui lui préférera, jusqu'à sa mort, sa soeur. Puis la vie de femme mariée dans les années 50, une vie d'enfermement qui ne la rendra pas heureuse « est-ce cela un destin de femme ? Procréer et se taire ? être encore et toujours la seconde d'un homme ? ». Jusqu'à son premier acte de révolte: le jour où en faisant les courses pour un diner, son mari Georges lui suggère d'acheter de la viande uniquement pour les hommes, « les femmes, elles, prendront autre-chose », finalement Nicole s'achète également une entrecôte et signe son premier acte de rébellion en tant que femme, le premier d'une longue série.
On connait finalement peu de chose de cet homme, Georges, quelqu'un d'énigmatique, un homme jaloux, alcoolique et violent, le vrai grand père de Valentin Spitz qui a disparu est dont il ne retrouvera jamais la trace.
Nicole ne peut être elle-même. Elle cherche peu à peu son autonomie et surveillée sans cesse par son beau-père, un homme aigri et rustre, n'a d'autre choix que de fuir avec ses filles.
Nicole prend son indépendance, travaille mais doit sans cesse faire face aux reproches, aux incompréhensions dans cette société qui vient tout juste d'accorder le droit de vote aux femmes. Dans son sillage, les murmures s'accumulent. Elle est célibataire, a quitté son mari, se retrouve seule avec ses filles, divorcée même. Elle est dans une situation où on la considère comme fautive. C'est elle qui est parti, or dans les années 50 on ne quitte pas son mari.
Plus tard, en 1965, les femmes peuvent désormais ouvrir seules un compte en banque. Nicole se remarie avec Jacques son employeur qui cache des fantasmes toujours plus étranges. En 1970, la notion de chef de famille et remplacée par celle d'autorité parentale conjointe. Nicole devient Juliette, change sa couleur de cheveux, prend le pas de Jacques sur l'entreprise et entérine son indépendance.
Années 80, Juliette est alors chef d'entreprise. Les hommes veulent la posséder, les femmes la jalousent, « sa liberté les terrifie en même temps qu'elles rêveraient de faire comme elle, d'être elle. ». Sa relation avec Jacques se dégrade, elle divorce encore et ne souhaite plus d'homme qui lui dicte sa conduite.
« bien plus que la politique, il importe d'abord à Juliette d'appliquer à sa propre vie les principes de la libération de la femme et des discours qu'elle tient : qu'importe les difficultés, elle suit le chemin de son désir. Un jour elle vivra sans homme. »
Malgré ce qu'elle a vécu Nicole devenue Juliette assume sa féminité et assoit son pouvoir. Elle est au sommet de sa carrière, peut tout se permettre. Nicole l'indépendante devient Juliette la Tropézienne, adepte des boîtes de nuit dans lesquelles elle sort avec ses filles. Avec Juliette c'est un autre personnage qu'on découvre, une femme forte, une femme de pouvoir, sublime qui roule en Ferrari et gère son entreprise d'une main de fer. Elle aime sa nouvelle vie, sa liberté conquise.
Juliette a connu la panoplie des pires hommes qui puissent exister : violents, alcooliques, menteurs et même pédophiles/incestueux. Mais malgré ce qu'elle a subit, elle ne renonce pas aux hommes et les adule même. Elle drague, prend des amants plus jeunes mais ne les laisse ni contrôler sa vie ni l'emprisonner une nouvelle fois. Petit à petit Juliette devient égoïste et un poil nymphomane. Elle drague même le petit ami de sa fille, qui d'ailleurs lui pardonne facilement son comportement ! Elle délaisse ses filles pour aduler son fils, Julien. Elle nous deviendrait presque antipathique.
En alternance entre passé et présent on entre dans l'intimité de Nicole et de Lucas. Lucas qui cherche à comprendre les rapports existants entre les femmes de sa famille, les relations que Nicole a entretenu avec les hommes de sa vie: son père, ses maris, ses amants, son fils. Lucas qui cherche à percer le silence qui entoure la disparition et la vie de Georges, son grand-père. Lucas qui rend un très bel hommage à sa grand-mère mais dont j'ai eu du mal à comprendre l'intérêt envers Georges après ce qu'il lui a fait subir.
Juliette est une héroïne, une femme libre et audacieuse un vrai model, une source d'inspiration.
Valentin Spitz dresse un superbe portrait de cette femme et de cette époque. Un beau roman sur l'émancipation des femmes. Et finalement pas besoin de savoir qu'elle disparait, la vie de Nicole est tellement riche et incroyable qu'on se suffit amplement des péripéties qui ont jalonné sa vie.
Merci aux éditions Stocks et surtout à l'écrivain
Valentin Spitz. Merci Valentin de m'avoir accordé un peu de votre temps et d'avoir eu des réponses à mes questions suite à la lecture de ce merveilleux roman. C'est très agréable de pouvoir échanger avec un auteur et l'impression qui nous reste du roman ne peut en être que plus impactante.
A vous, lecteur de cette chronique, je vous conseille de découvrir « Juliette de St Tropez »!
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