Le voyageur solitaire n'est jamais seul, il voyage avec l'idée de sa mort.
L'heure ou l'on recontre pour la première fois une ville importe quant à l'avenir des relations qu'on aura avec elle.
Une émotion, me disais-je à titre d'excuse, ne s'impose point seulement par sa qualité, mais encore par son intensité, généralement puissante dans ce qui est vulgaire.
Le train me laissa dans une ville étalée au soleil d'un après-midi dominical. Le silence des rues chaudes était imprégné de l'ennui des siestes en province.
M'avisant que la présence de bagages transformait le voyage en entreprise de transports, je me bornai à mettre dans ma poche les trois ustensiles associés à ma toilette, et je partis, mains vides et bras ballants, prévoyant d'étonnantes joies.
À cette débâcle de ma vie, j'assiste en spectateur. Toute attitude qu'il faudrait choisir pour échapper à ce chaos me répugne par sa vanité et son ridicule.
Les parcours de la matinée avaient-ils été exempts de froissements pour ma sensibilité, et le restaurant où je m'asseyais n'était-il que discrètement peuplé ? je notais en dépliant ma serviette une poussée d'allégresse. Mais, à mesure que la nourriture venait mêler son ignorante nouveauté aux habitudes anciennes de l'organisme, dans l'atmosphère épaissie des fumées et des propos, se produisait une chute accélérée de mon goût de vivre. Vers les deux heures, la pesanteur de l'estomac, la chaleur du jour, l'aigreur de la lumière et des odeurs se coalisaient pour me rétrécir le coeur.
Pourquoi partais-je ? Rien, pas même un vague désir ne m'invitais à le faire. Mais l'absence de raisons devenait une raison. On allait me voir dans des lieux où rien ne justifiait, ni n'interdisait ma présence. J'allais montrer à des rues et des campagnes que l'on peut être parmi elles, comme elles sont elles-mêmes, sans intentions, sans souvenirs, en dépit des significations dont on les accable pour excuser celles que l'on veut se donner.