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Critique de Isidoreinthedark


« Mon sous-marin jaune », le nouvel opus d'un auteur à part, poète intransigeant devenu romancier poète, auteur de l'un des plus beaux romans de la littérature contemporaine, « Entre ciel et terre », donne libre cours à l'imagination débridée de Jón Kalman Stefánsson.

Ce roman, teinté de surréalisme, qui emprunte un mode d'écriture évoquant l'écriture automatique, chère à André Breton, semble se dérouler dans un parc londonien où le narrateur, 59 ans en 2022 comme l'auteur, aperçoit Paul McCartney. Il projette de lui offrir le plus ancien texte du monde, « L'Épopée de Gilgamesh », un long texte mésopotamien datant de plus quatre mille ans.

Si la présence concomitante du bassiste de Beatles et du narrateur dans un parc anglais en cet été 2022 est un motif récurrent du roman, il s'agit en réalité d'une diversion. « Mon sous-marin jaune », allusion transparente au célèbre « Yellow Submarine » est surtout une manière pour le narrateur de revenir sur une enfance islandaise austère et pieuse, marquée par le décès précoce de sa mère, un décès que, ni son père, ni lui-même, n'ont jamais réellement surmonté.

Dans un roman plein de joie et de tristesse, joyeusement foutraque, Stefánsson convoque le Dieu vengeur de l'ancien testament, tandis que son fils Jésus le miséricordieux se fait plus discret. le Dieu de la Torah se révèle être un compagnon de beuverie du père du jeune héros, avec qui il chante des chansons de marins jusqu'à plus soif, en compagnie de Johnny Cash.

« Parfois, la vie est une baleine qu'on vient de capturer, mais - où diable est donc Johnny Cash ? »

L'auteur prend un malin plaisir à découper son roman faussement désorganisé en chapitres aux titres tout droit sortis de « Vol au-dessus d'un nid de coucou ». Il insuffle à intervalles réguliers, une forme de vent islandais fou, dans un roman qui mêle le sacré et le profane avec une maestria qui n'appartient qu'à l'auteur.

« Ces choses qui peuplent ma tête, tout ce qui fait que la vie se pare d'étrangeté dans la mort, et Ringo Starr est l'évêque de Hólar ».

J'ai songé en ouvrant ce livre, qu'il serait parsemé d'allusions pour « happy few », ces fins connaisseurs des Beatles qui glosent des nuits entières sur les qualités respectives de « Sergent Pepper » et de l'Album Blanc. Funeste Erreur ! Paul McCartney est bien présent tout au long de ce roman inclassable, et sans doute adulé par l'auteur lui-même. le terrible assassinat de John Lennon par Mark Chapman représente la fin d'un monde, un monde où les Beatles pourraient se reformer, et les voix de John & Paul s'emmêler comme dans leurs plus belles chansons des sixties.

Et pourtant. « Mon sous-marin jaune » n'est pas un livre sur les Beatles, mais bien davantage une étrange farce métaphysique, où un jeune enfant déchiffrant l'Ancien Testament est horrifié par les horreurs indicibles qu'un Dieu sans pitié intime à Moïse de commettre en son nom. Et ce d'autant plus que l'Éternel a pris ses quartiers à l'arrière de l'inusable Trabant de son paternel, où il écluse des quantités titanesques de vodka en compagnie de Johnny Cash.

Le dernier roman de Stefánsson est en réalité un roman sur le questionnement profond et sans malice d'un enfant confronté à l'insondable violence des Écritures, qui ne comprend pas la colère irascible de l'Éternel et se reconnaît bien davantage dans la douceur du message du fils de Dieu, crucifié sur une croix à l'âge de trente-trois ans. Un enfant que sa belle-mère emmène dans les terres arides, sauvages, solitaires, du nord de l'Islande. Un lieu où il découvrira qu'il est en mesure de parler aux morts, que la frontière entre la vie et le trépas est plus ténue qu'on ne l'imagine...

« L'Éternel descend sur Terre, s'assoit dans la Trabant à côté de mon père, et quelqu'un verse des larmes de joie. »

Roman tout en digressions et en contretemps, « Mon sous-marin jaune » ne saurait se réduire à un roman loufoque, où son auteur laisse libre cours à son imagination débordante. Avec une forme de pudeur de clown triste, Stefánsson aborde des questions essentielles de notre bref passage sur cette terre. La mort précoce d'une mère aimante emportée par la maladie, l'alcoolisme d'un père qui sombre dans le chagrin, le regard innocent et empli d'une sagesse qui disparaîtra avec les années que porte un enfant de sept ans sur un monde devenu fou.

« ... et je deviens aussi triste que la commissure des lèvres de Ringo Starr »

Si le sens du tragique de l'existence s'invite dans ce roman foisonnant, il n'est justement jamais triste et recèle bien au contraire une vitalité joyeuse et bordélique. Une vitalité qui ressemble à la vie elle-même. Et c'est peut-être la véritable prouesse accomplie par l'auteur dans cet ouvrage qui ne ressemble à nul autre : nous restituer la grâce éphémère de cet improbable miracle que l'on nomme la vie.

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« Some kind of innocence is measured out in years
You don't know what it's like to listen to your fears

You can talk to me
You can talk to me
You can talk to me
If you're lonely, you can talk to me »

Hey Bulldog - The Beatles

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