- Tiens la lanterne ! ordonna Billy.
Et il palpa les jambes du poney et éprouva la chaleur des flancs. Il mit sa joue contre le museau gris du poney, puis il tira les paupières vers le haut pour voir les prunelles, souleva les lèvres pour découvrir les gencives et il mit ses doigts dans l'intérieur des oreilles.
- Il n'a pas l'air trop mal fichu, dit Billy. Je vais lui faire une bonne friction.
Alors Billy chercha un sac et frictionna violemment les jambes du poney, puis il frictionna la poitrine et le garrot. Gabilan était étrangement insensible. Il se soumettait patiemment au bouchonnage.
Gitano n'était qu'un vieillard avant qu'on ne rencontre ses yeux noirs et éteints. Mais derrière ces yeux-là , il y avait une chose inconnue. Il n'en disait jamais assez long pour qu'on puisse deviner ce qu'il y avait à l'intérieur derrière ses yeux.
Je n'aime pas les chevaux savants. ça enlève toute la ... dignité d'un cheval de lui apprendre des tours. Enfin, un cheval savant, c'est un peu comme un acteur..., pas de dignité, pas de caractère personnel.
Aussi fort que soit un homme, il y a toujours un cheval qui peut le flanquer par terre.
Le père de Jody ouvrit le loquet de la porte et ils entrèrent. Ils avaient marché le soleil dans les yeux en venant. La grange était noire comme la nuit par contraste et pleine de la chaleur du foin et des bêtes. Le père de Jody se dirigea vers l'unique box.
- Vient ici! ordonna-t-il.
Jody commençait à pouvoir distinguer les choses. Il regarda dans le box, puis recula vivement.
Un tout jeune poney rouge le regardait du box. Ses oreilles étaient tendues en avant et il y avait dans ses yeux une flamme de rébellion. Sa robe était épaisse et rude comme la fourrure d'un airedale et sa crinière était longue et emmêlée. La gorge de Jody se contracta et sa respiration se fit brêve.
- Il a besoin d'un bon pansage, dit son père, et si jamais je m'aperçois que tu ne le nourris pas ou que tu laisses son écurie sale, je le vends à la minute même.
- Les vieux devraient être tirés de leur misère, continua le père de Jody. Un coup de fusil, un grand bruit, une grande douleur dans la tête peut-être, et c'est tout. Ca vaut mieux que l'ankylose et le mal aux dents.
Billy Buck intervint.
- Ils ont le droit de se reposer après qu'ils ont travaillé toute leur vie. Peut-être qu'ils ne demandent qu'à se promener un peu.
Du fond d'un millier de siècles, ils tiraient l'antique admiration du piéton pour le cavalier. Ils savaient par instinct qu'un homme à cheval est, spirituellement aussi bien que physiquement, plus grand qu'un homme à pied.
- Toujours mauvaise conscience. Qu'est-ce que tu as fait ?
- Rien, m'dame, dit-il d'un ton mal assuré.
Mais il était incapable de se souvenir, et d'ailleurs on ne pouvait jamais savoir quel acte serait plus tard interprété comme un crime. (p.93-94)
Jody considérait les bâtiments de la ferme. Il sentait de l’incertitude dans l’air, l’impression d’un changement et d’une perte, en même temps que du gain de choses nouvelles et inusitées.
Gitano n'était qu'un vieillard avant qu'on ne rencontre ses yeux noirs et éteints. Mais derrière ces yeux-là , il y avait une chose inconnue. Il n'en disait jamais assez long pour qu'on puisse deviner ce qu'il y avait à l'intérieur derrière ses yeux