Rue de la sardine /
John Steinbeck
« le lever du jour est un moment magique, dans la
Rue de la Sardine. Quand le soleil n'a pas encore percé l'horizon gris, la Rue parait suspendue hors du temps, enveloppée d'une lueur d'argent. Les réverbères sont éteints, l'herbe prend des tons d'émeraude, la ferraille des conserveries prend des reflets de perle, de platine, et d'étain vieilli…C'est la paix absolue, c'est le repos, le temps lui-même s'est effacé ».
Jusqu'au retour des sardiniers.
La Rue de la Sardine, c'est à Monterey en Californie, grand port sardinier avec les conserveries qui trempent leur queue dans la baie au son des hululements des sifflets des usines dès que les navires rentrent de la pêche. Monterey la décrépite, la folle cosmique où la faim et la peur détraquent les entrailles des hommes qui bataillent pour leur pitance, et des hommes affamés d'amour anéantissant les choses dignes d'amour autour d'eux.
La Rue de la Sardine dans les années 30, c'est un poème, c'est aussi la puanteur ; c'est de la nostalgie et du rêve, et aussi le chaos de ferrailles, de bouts de bois, de morceaux de pavés, de ronces, d'herbes folles, de restaurants, de lieux de débauche, d'épiceries bondées et de laboratoires étranges.
Les habitants, ce sont les pêcheurs dont on ne parle jamais, les filles de chez Dora tenancière du Drapeau de l'Ours, proies des pêcheurs, les souteneurs comme Mack fondateur du Palais des Coups, les joueurs de cartes, et les enfants de putains. D'un certain point de vue, ce sont des saints, des anges et des martyrs comme on le découvre au fil des pages de ce roman étonnant grouillant d'histoires abracadabrantes. Même le sont les propres à rien qui trainent au coeur des terrains vagues et se sont retirés sous les cyprès avec leurs bouteilles de bière avant de trouver le sommeil dans d'énormes tuyaux.
Et puis il y a Lee Chong et son épicerie fabuleuse miraculeusement approvisionnée en tout, (Lee Chong qui va se retrouver au coeur d'une affaire de grenouilles devenues une monnaie en remplacement du dollar) ; il y a Henry-le peintre qui construit ad vitam aeternam son bateau à bord duquel il vit, mais qui a peur de l'océan et qui en fait ne peint pas et ne s'appelle pas Henry ! Et aussi il y a Doc, un solitaire noctambule source de toute philosophie et de toute science, le fêtard au grand coeur qui participe de sa manière improbable à la science au sein de son Laboratoire Biologique de l'Ouest sis juste en face de chez Lee Chong, laboratoire où il entrepose et conditionne une foule d'animaux marins et terrestres destinés aux chercheurs, tout en écoutant des chants grégoriens. Doc a inventé un julep guérissant tout ou presque à base d'un mélange de bière et de lait. Il en aura bien besoin au retour d'une partie de pêche aux petits poulpes qui lui réserve une drôle de surprise…
Quand Doc le philosophe parle, tous écoutent :
« Les choses que nous admirons le plus dans l'humain : la bonté, la générosité, l'honnêteté, la droiture, la sensibilité et la compréhension, ne sont que des éléments de faillite dans le système où nous vivons. Et les traits que nous détestons : la dureté, l'âpreté, la méchanceté, l'égoïsme, l'intérêt personnel sont les éléments mêmes du succès. L'homme admire les vertus des uns et chérit les actions des autres. »
Et la question fuse de l'auditoire :
« Qui souhaiterait être vertueux lorsqu'il subit la loi de la faim ? »
Ce roman, une sorte d'ovni, est en fait une chronique de la vie quotidienne d'un quartier pauvre animée par des personnages hauts en couleurs, as de la débrouille auxquels adviennent des histoires incongrues et rocambolesques. Avec humour et dérision, empathie et tendresse, Steinbeck nous rend tous ces personnages bien sympathiques.