Le rêve américain n'est pas celui du paisano
Danny apprend à son retour de la guerre qu'il a hérité de deux maisons à Monterey, village de pêcheur en Californie.
Si beaucoup rêvent de devenir proprio, la seule ambition de Danny, sang mêlé coupé au vin, est de vivre sans entrave, pauvre mais libre, entouré d'amis qui vagabondent dans l'oisiveté et l'ivresse.
Il va louer une maison à l'un de ses amis, Pilon, pas totalement marteau mais bien fauché, qui va être rejoint par une bande de loosers magnifiques, chevaliers de la table, ronde ou carrée, peu importe, tant qu'elle est garnie de gallons d'alcool, la monnaie locale. Dany n'est pas le roi Arthur, mais en cherchant bien sous les fripes volées qui font office d'armures, Steinbeck, ce fabuleux portraitiste des gens simples, pare ces pieds nickelés de valeurs chevaleresques avec quelques aménagements gouailleurs : l'honneur qui ne rime pas avec honnêteté, la fidélité… seulement en amitié, la pureté… qui n'est pas sobriété et la bonté… non, là il ne faut pas exagérer.
Chaque chapitre de ce roman relate avec truculence une anecdote, une aventurette, ou des épopées imbibées qui fixent les petites pierres sur le chemin des amitiés durables. de l'incendie d'une maison à la recherche d'un magot caché, de l'organisation d'une fête à des amourettes contrariées ou contrariantes, le récit peut paraître un peu décousu mais il est à l'image de personnages qui ne vivent que dans l'instant présent et dans un joyeux foutoir.
Les amis de Danny, aux sobriquets évocateurs (Corcoran, Pablo, Big Joe, Tall Bob, le Pirate… ) s'inquiètent quand ce dernier, entravé par ses possessions, emprisonné dans sa propre maison dont le toit cache la vue des étoiles, dépérit et disparait pour retrouver son état sauvage.
Tortilla Flat est un des premiers
romans de Steinbeck, le reflet nostalgique de sa jeunesse un peu bohème et très fauchée. La gloire est tombée sur lui comme la propriété sur Danny et il est savoureux d'apprendre que c'est par ce récit que l'auteur va vraiment connaître le succès.
Comme souvent chez Steinbeck, je me suis attaché aux personnages et je regrette presque de ne pas l'avoir relu un lendemain de cuite pour arrêter de faire semblant de regretter une gueule de bois.
Impossible également de ne pas voir dans ce conte alcoolisé, au tanin âpre, son attachement farouche à l'individu et à la liberté.
Derrière son humour, les raisons de sa colère.