Avec la généralisation de l'automatisation des phares, le mythe du gardien de phare a acquis, sans doute, une nouvelle dimension, se parant du mystère que l'on confère à ce qui a été rare, et désormais n'est plus. C'est justement d'une disparition dont il est ici question. Une disparition qui plus est bien étrange…
1972. le Maiden Rock dresse son pic majestueux et solitaire au large des côtes de Cornouailles. Très au large : situé à quinze milles nautiques de la terre ferme, c'est par ailleurs l'un des phares les plus dangereux qui soit. Difficile à accoster, son édification a coûté des dizaines de morts, auxquels se sont ajoutés les marins en perdition qui, au fil du temps, se sont heurtés aux écueils qui l'environnent. Lorsque, le 31 décembre, la relève s'y présente, il est désert. le gardien-chef Arthur Black, son auxiliaire William "Bill" Walker, et le jeune remplaçant Vincent Bourne, ont disparu. L'intérieur de l'édifice est impeccable, le couvert y est dressé pour deux. La porte est verrouillée de l'intérieur, et toutes les fenêtres sont fermées.
1992. Dan Sharp, auteurs de romans d'aventures à succès, s'empare de ce fait divers irrésolu, décidé à en percer le mystère. Pour cela il se rapproche des compagnes des trois hommes.
Helen était la femme d'Arthur Black. Depuis la disparition, elle chute, interminablement, dans l'apesanteur et l'incrédulité, sans pouvoir tourner la page, attendant qu'on la rattrape. Elle a déménagé en ville après l'événement puisque, de toute façon, elle n'a jamais aimé la mer. Elle s'est convaincue d'une explication rationnelle au drame -un déferlement soudain a surpris les trois hommes-, appliquant ainsi le principe du rasoir d'Occam, selon lequel "la solution la plus simple est d'ordinaire la bonne". Elle accueille l'écrivain plutôt favorablement, dans son "besoin d'exprimer la véracité de ce qui a été tu".
Jenny, l'épouse de Bill, préfère rester dans l'incertitude, et l'espoir qu'un jour son homme revienne. C'est pourquoi elle est restée accrochée au bout de côte depuis lequel on voit se dresser la silhouette du Maiden Rock. C'est une femme un peu rustre, méfiante, aigrie même, qui regarde beaucoup la télé, la laissant allumée la nuit pour pouvoir, à son réveil, dire bonjour à quelqu'un. Ça l'aide à ne pas ressasser, à occulter le profond mal de vivre qui la hante, elle aussi, depuis vingt ans. Elle n'accepte de se livrer à Dan Sharp que pour contrer les mensonges que ne manquera pas de diffuser Helen.
Michelle enfin, compagne de Vincent, refuse de participer au projet. Elle a tourné la page, refait sa vie, et garde un très douloureux souvenir de la disparition dont il a été admis que Vincent, parce qu'il avait des antécédents judiciaires, était responsable.
Le récit est à la fois lent et tendu, car lourd de secrets entretenus par des allusions de prime abord obscures. La lumière sur l'inexplicable disparition se fait par bribes demeurant longtemps obscures,
Emma Stonex installant au fil d'allers-retours entre passé et présent et d'une progression susceptible d'irriter un lecteur impatient, la toile des connexions liant personnages et événements. Les incursions dans l'intimité du phare confrontent la parole des hommes à celles du souvenir des femmes, révélant des incohérences liées aux non-dits, aux mensonges, aux incompréhensions.
Arthur Black, l'imperturbable gardien-chef, s'adresse dans son journal à un tu inaccessible et interdit, dissimule sous ses airs de vieux loup solitaire des ruminations confinant à la démence. Bill aussi rumine, une rancoeur qu'il n'a jamais exprimée parce qu'il est de ceux qui s'oublient pour faire plaisir aux autres et ne pas faire de vague. Drôle de gardien de phare, qui ne sait pas nager, et n'aime pas la mer, échoué là par héritage familial, parce que chez les Walker, ça ne se discute pas, on assure la fonction de père en fils. Vincent, lui, voit le phare comme une planche de salut, projette de passer gardien auxiliaire, pour enfin connaître une vie stable, avec sa fiancée Michelle, et laisser derrière lui le souvenir de la prison et le traumatisme de son dernier larcin. Il aime la simplicité de la mission, cet ensemble de petites tâches qui occupent l'esprit -allumer le phare, faire le ménage, la cuisine…
Je suis entrée dans ce roman (que l'on m'a offert) un peu sceptique, la quatrième de couverture un peu racoleuse et quelques critiques lues ici et là me faisant craindre certaines facilités et un style sans flamboyance. Si l'auteure entretient le suspense avec une lenteur parfois trop étudiée, j'ai apprécié la description, dénuée de tout le romantisme que l'on prête à la fonction, de la vie des gardiens dans le phare, de ces intimités plus ou moins torturées qui se côtoient sans se confronter, qu'elle éventre avec patience, creusant sous les apparences d'équilibre qu'offre le bon fonctionnement du trio. La folie rôde, et on finit par ne plus très bien savoir qui en est atteint… J'ai en revanche trouvé superflue l'introduction de passages vaguement surnaturels auxquels je n'ai rien compris.
Une lecture plaisante, en somme, et finalement moins "facile" que ce à quoi je m'attendais.
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