[ A propos de l'alcool ]
C'est soit un ennemi qui te veut du bien et qui te fait du mal, soit un ami qui te veut du mal et qui te fait du bien .
Jacques Dutronc
Etre rationnel, ce n'est pas se couper de ses émotions. Le cerveau qui pense, qui calcule, qui décide n'est pas autre chose que celui qui rit, qui pleure, qui aime, qui éprouve du plaisir et du déplaisir.
Me prend alors l’envie de ne plus réfléchir, de me laisser porter. Laisser couler le sable entre mes doigts.
Faire confiance et larguer les amarres.
........J'ai l'impression qu'elle utilisait l'alcool comme anxiolytique. Un alcoolisme solitaire, caché de tous.
- Bien vu, Marie-Lou, tu progresses. IL y a effectivement pleins de façons différentes de s'alcooliser. C'est important de le savoir quand on prend en charge nos patients.
Je penche la tête, le stylo à la bouche, lui indiquant que j'aimerais en savoir plus. Hubert aspire doucement sa gorgée de thé chaud puis continue la phrase qu'il avait laissée en suspens.
- Une femme délaissée, des fêtes étudiantes qui se prolongent au fil des ans, la solitude, le deuil, le chômage, les mondanités qui ne se refusent pas. Les causes profondes de leur alcoolisme se cachent souvent dans leur environnement. L'alcool est festif, l'alcool est mondain, l'alcool est solitaire. Qu'on le cache ou non, il ne console en rien. C'est soit un ennemi qui te veut du bien et qui te fait du mal, soit un ami qui te veut du mal et qui te fait du bien. Cette phrase n'est pas de moi mais je l'aime bien. Elle résume les forces contraires, qui animent nos malades, le combat antérieur auquel ils doivent faire face. S'il est aisé de stopper leur dépendance physique par les médicaments, leur dépendance psychique, elle, c'est autre chose. Elle les hantera toute leur vie dès qu'ils verront un verre passer sous leurs yeux. A nous de la rendre latente, à l'état de braises. A nous de faire en sorte qu'elle ne flambe pas.
Tu peux ranger tes instruments, ajoute-t-il en pointant du doigt le stéthoscope qui dépasse de mon sac. La psychiatrie est une science de la parole.
C'est au médecin d'annoncer les mauvaises nouvelles. Telle est la règle, même si elle n'est écrite nulle part.
Il n'a posé aucune question, sa curiosité s'arrête au malheur des autres. C'est un homme bienveillant.
Tout me renvoie à lui. La couleur de la mer, ce vert bouteille sombre et intrigant. Ce voilier au loin qui gîte et couche sa grand-voile vers l'horizon. Avec sa coque rouge, on croirait même qu'il s'agit du sien. Est-ce une illusion ou une hallucination ? Au moment où je le remarque, le bateau change de cap et semble faire demi-tour vers la rade de Brest. Si j'étais superstitieuse, je croirais qu'il m'envoie un signe. Devrais-je faire pareil avec Matthieu ? Changer de cap ? Retourner au point de départ ? A l'instant précis où je me suis réveillée dans ses bras après notre première nuit ? C'est de là qu'il faudrait repartir. Mais repartir pour changer quoi ? Je ne regrette rien et ne veux rien changer.
L'empathie m'est impossible en ce samedi matin.Trop fatiguée,trop contrariée.Mon esprit est ailleurs.
À Bohars, il y a des patients qui ne viennent qu'une fois: une dépression sévère, un accès anxieux. Une parenthèse éprouvante dans leur vie qu'ils préférefont cacher et oublier. Il y en a d'autres qui prennent leur carte d'abonnement, nul doute qu'ils reviendront quelques semaines plus tard, en oubliant de prendre leur traitement et en recommençant à délirer.
Grégoire Philbert, lui, fait partie de ceux qui entrent et ne sortiront jamais. Pas de place pour lui dans cette société. Pas de chance au début, des mauvaises rencontres, des consommations diverses et variées, puis la maladie qui se déclare. Si soudaine et si violente. Pas de proches pour l'accompagner dehors. Alors sa place reste dedans. Là où sa vérité peut être différente sans qu'on le mette de côté, sans qu’on se moque de lui. Là où le monde est aseptisé et assisté. Pour qui, pourquoi ce jeune schizophrène s'est mis avaler des fourchettes? Le mustère reste insoluble. Alleg expliquer ça au gastro-entérologue de garde! Celui là même que j'ai appele la semaine dernière pour le même motif.