Oui, le livre dont tout le monde parle, il faut que je fasse abstraction de tout ce que j'ai pu entendre ou lire à son sujet pour ne donner que mon sentiment une fois le livre refermé.....
Dès les premières pages on est plongé dans la vie de Julia, 13 ans, Turtle pour tout le monde, Tortue : oui le surnom est bien trouvé...... Je me replie, je me protège sous ma carapace du monde qui m'entoure mais surtout de ce père, Martin, qu'elle aime et dont elle ne peut imaginer vivre sans, son seul compagnon de vie en dehors de Papy, Daniel, le grand-père paternel qui lui offre des petites bulles de calme.
Les personnages sont peu nombreux, c'est presque un huis clos, étouffant, oppressant, tellement la violence est sous-jacente, même dans les moments d'accalmie. La violence oui, la brutalité aussi, elle est la compagne de ce duo : physique, sexuelle, morale. Les pensées de Turtle sont omniprésentes : elles tournent en boucle, elle pense, elle envisage toujours toutes les options qui s'offrent à elle, pèse le pour, le contre. C'est une guerre et l'ennemi est son père, homme ambivalent, d'une grande culture, désorienté par le monde qui l'entoure et qui saccage, qui détruit à la nature. Et elle, Turtle, qui se cherche, qui essaie d'analyser qui elle est, réellement.
C'est un couple, avec ses rituels matinaux, l'oeuf gobé par Turtle chaque matin, la bière bue par son père en même temps, la phrase : "tu n'as pas besoin de m'accompagner jusqu'à l'arrêt du bus" sans réponse de Martin mais qui continue à l'accompagner. Cela donne le rythme au récit, jour après jour.
Et l'on passe de cette vie à deux, presque normale, normalité toute relative pour eux, à des scènes d'une extrême violence, comme le calme avant la tempête comme l'est l'esprit imprévisible de ce père, que l'enfant connaît bien, qu'elle aime malgré tout et dont elle n'imagine pas la vie sans lui.
Ames sensibles s'abstenir : il y a des passages où vous aurez la chair de poule comme je l'ai eue, vous n'aurez qu'une envie que cela s'arrête, ce n'est pas possible une telle cruauté mais vous ne pouvez abandonner Turtle : vous lui intimez de partir, de s'enfuir, de dénoncer mais ce n'est pas si simple pour elle. C'est finement mais brutalement rendu mais ce n'est que le reflet de ce que vit cette adolescente.
J'ai aimé l'ambiguïté de certains personnages : le papy dont on peut penser que sa relation avec Martin n'a pas toujours été douce, Martin dont l'auteur n'a pas fait un homme inculte, cela aurait été trop facile et évident, sans sentiment, Turtle, cette jeune fille en pleine transformation, qui est devenue une arme de guerre, comme les armes qu'elle ne quitte pas et puis Jason, l'adolescent que rencontre Turtle et qui va être le révélateur qu'une autre vie existe, différente, joyeuse et douce.
J'ai été un peu frustrée de ne pas en savoir plus sur la mère de Turtle, disparut mystérieusement, sur Cayenne, cette enfant débarquée d'on ne sait où mais cela ne gêne pas la lecture les projecteurs étant braqués principalement sur la relation père/fille, sur leurs ambiguïtés : sado/maso, je t'aime, je te hais.
Rien n'est simple, c'est le reflet d'un monde où la nature est extrêmement présente et joue, elle aussi un rôle prépondérant et ajoute au climat du livre, où l'environnement et la solitude, l'isolement où vivent ces deux êtres participent au drame.
Je reconnais qu'une fois ouvert, on ne lâche pas le livre, même si parfois on voudrait le faire tellement certaines scènes sont insoutenables, mais l'on veut connaître le destin de Turtle, qui va sortir vivant de leur duel, car il est évident que cela va mal se terminer. J'ai beaucoup aimé la douceur des derniers chapitres en contraste avec les 28 ou 29 premiers, j'ai peut être trouvé cela un peu "eau de rose" mais après une telle lecture cela permet de reprendre pieds doucement.
Je garderai de cette lecture un choc : aller si loin dans l'écriture, il fallait oser, se plonger dans l'esprit tourmenté de cette adolescente, sans repères, culpabilisant, sans estime d'elle, oui mais je n'en ferai pas une lecture régulière. C'est d'une violence inouïe, oui, mais c'est surtout l'ambivalence très bien rendue des deux principaux protagonistes qui m'a interpellée et qui est magnifiquement restituée, comme la nature, les plantes, les animaux, l'âpreté du paysage.
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