D'aucuns diront que la fallacieuse beauté créée par la pénombre n'est pas la beauté authentique. Toutefois ainsi que je le disais plus haut, nous autre Orientaux nous créons de la beauté en faisant naître des ombres dans des endroits par eux-mêmes insignifiants
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Les occidentaux.../..., s' agitent sans cesse à la poursuite d' un état meilleur que le présent.(p66)
...en fait nous oublions ce qui nous est invisible. Nous tenons pour inexistant ce qui ne se voit point.(p64)
...on peut trouver de la beauté dans un visage fabriqué de toutes pièces, mais l' on n' éprouvera jamais l' impression d' authenticité que dégage la beauté sans fard.(p54)
Le papier est, nous dit-on, une invention des Chinois; toujours est-il que nous n'éprouvons, à l'égard du papier d'Occident, d'autre impression que d'avoir affaire à une matière strictement utilitaire, cependant qu'il nous suffit de voir la texture d'un papier de Chine, ou du Japon, pour sentir une sorte de tiédeur qui nous met le coeur à l'aise. A blancheur égale, celle d'un papier d'Occident diffère par nature de celle d'un hôsho ou d'un papier blanc de Chine. Les rayons lumineux semblent rebondir à la surface du papier d'occident, alors que celle du hôsho ou du papier de Chine, pareille à la surface duveteuse de la première neige, les absorbe mollement. De plus, agréables au toucher, nos papiers se plient et se froissent sans bruit. Le contact en est doux et légèrement humide, comme d'une feuille d'arbre.
En un mot, l'Occident a suivi sa voie naturelle pour en arriverà son état actuel; quant à nous, mis en présence d'une civilisation plus avancée, nous n'avons pu faire autrement que de l'introduire chez nous, mais, par contrecoup, nous avons été amenés à bifurquer vers une direction autre que celle que nous suivions depuis des millénaires: bien des embarras et bien des déconvenues nous sont, je pense, venus de là.
Ce que l'on appelle le beau n'est d'ordinaire qu'une sublimation des réalités de la vie, et c'est ainsi que mes ancêtres, contraints à demeurer bon gré mal gré dans des chambres obscures, découvrirent un jour le beau au sein de l'ombre, et bientôt ils en vinrent à se servir de l'ombre en vue d'obtenir des effets esthétiques.
(P 51)
La cuisine japonaise, a-t-on pu dire, n'est pas chose qui se mange, mais chose qui se regarde ; dans un cas comme celui-là, je serais tenté de dire: qui se regarde, et mieux encore, qui se médite !
En fait, la beauté d’une pièce d’habitation japonaise, produite uniquement par un jeu sur le degré d’opacité de l’ombre, se passe de tout accessoire.
Je crois que le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. De même qu’une pierre phosphorescente qui, placée dans l’obscurité émet un rayonnement, perd, exposée au plein jour, toute sa fascination de joyau précieux, de même le beau perd son existence si l’on supprime les effets d’ombre.