C’est une drôle de logique : mourir conscient ou vivre inconscient.
Je me ronge les ongles et marmonne : " Maman, papa, Amy ", pour m'habituer car je ne les connais pas. Je ne sais pas non plus où est ma maison.
Je ne sais rien. Difficile de ne pas se sentir bizarre, non ?
Je tournoie entre les arbres avant de me laisser tomber sur l’herbe émaillée de marguerites. Dans le ciel, les nuages dessinent des formes et des visages vaguement familiers. J’ai des noms sur le bout de la langue, mais ils m’échappent… Tant pis. C’est bien d’être là, immobile, d’être moi.
- Je te laisse la vaisselle, dit maman.
- Pourquoi ?
Elle lève les yeux au ciel.
- Je te laisse faire la vaisselle, répète-t-elle.
Je me lève et regarde la table. Que veut-elle dire ? La vaisselle est déjà fabriquée.
- Prends les assiettes et les tasses et pose-les là, m'explique-t-elle en désignant le plan de travail près de l'évier.
Je prends une assiette et la porte à l'endroit indiqué.
- Pas une à une, c'est trop lent ! Tu dois les empiler, comme ça.
Elle s'empare des assiettes, rassemble les couteaux et les fourchettes dans celle de dessus et pose bruyamment tout sur le plan de travail.
- Remplis l'évier d'eau chaude. Ajoute du liquide vaisselle. Pas trop... commente-t-elle en pressant le flacon d'où sort un flot de bulles. Après, tu frottes avec la brosse.
Je l'observe avec attention.
- Ensuite tu rinces chaque assiette sous le robinet et tu la mets dans l'égouttoir, comme ça. Et tu recommences. Tu as compris ?
- Oui, je crois.
Alors c'est ça, "faire la vaisselle"...
Je marche en silence jusqu’à la fenêtre et tire le rideau.
Un autre mot me traverse l’esprit : aube.
Le ciel est strié de rouge et de rose, parsemé de minces volutes de nuages encore sombres. L’herbe est éclaboussée d’orange, d’or, de vermillon et de pourpre. C’est magnifique. Jamais encore je n’avais vu le jour se lever. A l’hôpital, la fenêtre de ma chambre est orientée à l’ouest, et je n’avais droit qu’au soleil couchant. Enfin, à ce que m’en laissaient voir les hauts immeubles environnants.
- Bon. Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?
Il a un sourire plein de suggestions et je tremble un peu.
-Euh... On attend qu'Amy et Jazz nous rejoignent. A moins qu'on ne redescende ? Ils veulent peut-être rentrer, avec ce temps.
- Attendons un peu, propose-t-il en me prenant dans ses bras.
Je soupire d'aise, bien au chaud contre lui.
- Voilà pourquoi mes parents ne veulent plus que je reste seule avec toi !
- Non... Vraiment ? Alors on se cachera...
- Ben ! On a dit qu'on obéirait à tout le monde jusqu'à l'âge de vingt et un ans.
- Cinq ans sans un baiser ? Pas question.
il y a une autre personne en moi. Et c'est d'elle que j'ai peur.
Mon Nivo vibre.
4,4.
Phoebe a un sourire satisfait.
La vibration s'accentue : 4,2.
Phoebe lève la main.
- Monsieur? Je crois que la nouvelle élève va exploser...
Tout le monde glousse. Tout le monde me regarde.
3,9...
- Comment fait-on pour vivre malgré tout ?
- Que veux-tu dire, Kyla ?
- Malgré ce qui arrive de terrible aux gens qu'on aime.
- Je n'ai pas vraiment de réponse, tu sais. On fait de son mieux, jour après jour. Au bout d'un moment, ça devient plus facile.
Cours comme si ta vie en dépendait.