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Citations sur Le Dernier festin des vaincus (43)

« En sortant du pensionnat, on n’avait aucune qualification. On est rentrés chez nous sans rien. Avec encore moins qu’en y entrant. On y a laissé notre joie, notre insouciance, notre famille et notre culture pour repartir avec un traumatisme irréversible. »
Le journaliste respecta le silence de la femme avant de pousser plus avant l’interview :
« À l’origine, ces pensionnats devaient servir à assurer l’éducation des jeunes autochtones ? Pour vous comme pour beaucoup d’autres, ça n’a pas été le cas.
– Non, en effet. En sortant de cet enfer, on savait tout juste lire et écrire, mais on pouvait réciter des passages entiers de la Bible.
– Pas facile pour entamer sa vie d’adulte.
– C’était quasiment impossible. On n’avait de place nulle part : chez nous, on se taisait. On avait honte de nous-mêmes, mais aussi de nos parents qu’on nous avait dépeints comme des sauvages pendant toute notre enfance.
– Trouver un emploi devait être compliqué.
– Comme je l’ai dit, on n’avait aucune qualification. Dans l’esprit de l’époque, les Indiens ne pouvaient accéder qu’à des métiers manuels. Mais même dans ce domaine, l’enseignement que nous avions reçu était dérisoire.
– Le manque de qualification n’était pas le seul obstacle, je présume.
– Non, bien entendu. Personne ne voulait former ou embaucher un Indien sauf pour des sous-emplois. La mauvaise image, le dégoût que nous éprouvions de nous-mêmes, le monde extérieur nous les renvoyait constamment. Alors, au fil du temps, à force de vous répéter que vous êtes un sauvage, à force de vous traiter comme un sauvage… À force de vous voir vous-même comme un sauvage, vous finissez par vous comporter comme un sauvage.
– C’est à ce moment-là que vous avez sombré dans l’alcool.
– Oui et la drogue.
– Comment avez-vous fait pour vivre ?
– Avec les allocations que l’État nous verse. Il préfère payer pour que nous restions invisibles, cloîtrés dans notre misère intellectuelle, sociale et économique. On se tue lentement. Il n’y a jamais eu de volonté de progrès ou de civilisation dans ces pensionnats.
– Alors à quoi servaient-ils selon vous ?
– À tuer l’indien ; à éradiquer un peuple et à le chasser de ses terres. Chasser les nomades qui ont besoin d’un vaste territoire pour vivre au gré des saisons et des migrations des animaux pour faire place aux grands projets de “civilisation” ; les mines, les barrages hydroélectriques, les essais militaires…
– Les pensionnats sont fermés désormais et, pourtant, beaucoup de jeunes autochtones sont toujours à la dérive. Comment l’expliquez-vous ? » La femme se tut et Nathan posa une main sur l’épaule d’Alice, qui n’esquissa aucune réaction. « La question des enfants revient à celle des parents. Mes trois enfants m’ont été retirés. Deux sont décédés aujourd’hui. Un seul a réussi à guérir du mal que je lui ai transmis.
– Du mal résultant des pensionnats ?
– Comment devenir mère après ça ? Comment faire quand on n’a plus aucun repère et rien à transmettre, même pas l’estime de soi.
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La capitale était semblable à tant d’autres grandes villes ; hérissée de tours en béton, chic et historique pour les plus fortunés, standard et morne pour la majorité, décrépite et glauque pour les indésirables.
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Au Canada, une autochtone a dix fois plus de risque de se faire assassiner qu’une autre femme.
Selon le rapport de la Gendarmerie royale du Canada datant de 2014, 1181 femmes autochtones ont disparu ou ont été assassinées entre 1980 et 2012. Rapporté au pourcentage de la population, ce chiffre équivaut à 55 000 Françaises. 365 cas restent non résolus. En 2019, l’enquête nationale réalisée sur ce sujet publiait son rapport final. La commissaire en chef, Marion Buller, déclarait : « Malgré leurs circonstances et leurs milieux différents, toutes les femmes et les filles disparues et assassinées ont en commun un contexte de marginalisation économique, sociale et politique, de racisme et de misogynie qui, malheureusement, est bien ancré dans la société canadienne. »
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Des façades beiges ou rouges, ternies par la saleté, jamais ravalées. Des ruelles où s’entassaient les débris matériels et humains dont la population voulait se débarrasser. Le royaume de la crasse et des rats s’animait la nuit pendant laquelle des silhouettes fantomatiques surgissaient de l’ombre des porches ou se découpaient sous la lumière des lampadaires. Des sans domicile fixe, des drogués, des prostituées, des travailleurs pauvres que le coût des logements et les bas salaires avaient rejetés loin des quartiers vivables. Parmi les spectres des quartiers miséreux, un nombre incalculable de visages aux yeux en amande et aux cheveux de jais se levait vers les deux jeunes gens. «
La rupture des liens avec leur culture et leur communauté accentue leur isolement et leur marginalisation. Pour les femmes, le problème est accru par la discrimination et le sexisme », fit Nathan en se lançant dans un argumentaire universitaire pour contenir la gêne des regards qui se posaient sur eux tandis qu’Alice s’en empreignait pour n’en oublier aucun détail.
« L’image de “l’Indien sale” et de “l’Indienne facile”, d’un peuple violent d’alcooliques, de drogués et de fainéants ne cesse de leur coller à la peau et…
– Et quoi ? le coupa Alice. Tu veux des chiffres ? Contrairement à ce que tu penses, je ne suis pas ignorante de ce qui les touche. Mais, moi, je n’oublie pas que la majorité des agresseurs sont d’anciennes victimes, que la plupart des femmes agressées sont elles-mêmes droguées ou alcooliques et que beaucoup souffrent de troubles mentaux suite à des années d’alcoolisme ou de toxicomanie. Comment veux-tu donner une image positive avec ça ? »
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- Non, bien entendu. Personne ne voulait former ou embaucher un Indien sauf pour des sous-emplois. La mauvaise image. Le dégoût que nous éprouvions de nous-mêmes. Le monde extérieur nous les renvoyait constamment. Alors au fil du temps, à force de vous répéter que vous êtes un sauvage, à force de vous traiter comme un sauvage... A force de vous voir vous-même comme un sauvage, vous finissez par vous comporter comme un sauvage.

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Agenouillé pour courber les tiges et les imbriquer, Peter avait vu une ombre s'abattre au-dessus de lui et se répandre sur le sol. Son visage s'était retourné vivement et s'était heurté aux yeux révulsés du Père supérieur qui découvrait ce que l'enfant faisait. Il l'avait saisi par le col, avait fait tomber son pantalon, avait ramassé une tige soupe et l'avait fouetté jusqu'à scarifier sa peau tendre de longues striures à vif. À chaque coup qui s'abattait, Peter avait ravalé ses pleurs et ses cris de souffrance qui lui avaient donné l'impression d'obstruer sa gorge, de l'étouffer tandis que son estomac se révulsait en entendant les grondements gutturaux du Père.
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L’âge d’or des scieries familiales était révolu et laissait ces habitants du dernier jalon avant la toundra dans un isolement géographique, économique et social toujours plus profond. Les aides et subventions de la capitale étaient des mesures cosmétiques qui n’empêchaient nullement la lèpre de la pauvreté de se répandre. Les Innus avaient été les premiers à en faire les frais. Les Blancs leur emboîtaient le pas dans la douleur.
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Seule sur des chaises ou des bancs, elle avait passé ses études en espérant s’en sortir sans faire de bruit pour qu’enfin on ne la voie plus, qu’on l’oublie. Ne plus lire sa différence dans les yeux des autres. Ne plus être jugée. Ne plus se sentir paria en ce monde.
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Comme une goutte d'eau éclatant en dizaines de particules, le troupeau de caribous se dispersa au son des fusils qui ponctuaient le décompte final du dernier jour de l'année. En ce soir de réveillon, partout, les voix des hommes scandèrent les dernières secondes ; de la cabane de chasseurs en bordure du lac gelé d'où le troupeau s'enfuyait jusqu'à la ville forestière de Pointe-Cartier et à la réserve indienne de Meshkanau.
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Ils s’étaient tus et personne ne leur avait posé de questions comme si tous connaissaient les horreurs des pensionnats et les avaient intégrées comme une fatalité qui s’abattait sur leur peuple de génération en génération. Un fléau que chacun devait affronter en silence.
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