Jocelyne allume une Gitane au mégot de la précédente, fixe son interlocuteur droit dans les yeux et lance :
- Allez-y ! Expliquez-moi comment vous comptez assassiner le charcutier ?
- Avec ses propres couteaux, répond Pascal sans se démonter.
- C'est abominable !
- Non, c'est commode ! Il y a tout ce qu'il faut sur place…
- Quand même…
- Vous ne m'avez jamais parlé d'esprit terroir !
- Aujourd'hui je vous en parle.
- Ça change tout !
- Vous exagérez !
Pascal explose :
- Pourquoi ne pas l'assassiner à coups de sabots ! Ou à coup de fourche ! L'écraser avec un tracteur ! Le faire passer dans la moissonneuse-batteuse et retrouver les morceaux liés en gerbe ! Ce serait assez terroir pour vous ça ?
« Donc la fille court sur la plage, reprend un des créatifs. Avec la musique, on s’attend à la voir tomber dans les bras d’un homme…
- C’est là le trait de génie ! intervient François. Au lien d’un homme, c’est un téléviseur !
- Elle tombe dans les bras d’un téléviseur ?
- Elle ne tombe pas dans ses bras à proprement parler, évidemment !
- Attendez ! Je ne comprends pas : il y a un téléviseur sur la plage ?
- Voilà.
- Qu’est-ce qu’il fait là ce téléviseur ?
Les publicitaires échangent des regards accablés : quel blaireau ! Aucune imagination, aucune poésie ! François remonte au créneau :
- C’est purement emblématique, Jérôme. Ce téléviseur symbolise ‘la’ télévision. En l’occurrence TéléMax puisqu’il affiche votre logo plein écran. Ce sera un appareil seize-neuvième coins carrés. Mais pas de marque identifiable !
- Donc la fille le prend dans ses bras…
- Qui ça ?
- Le téléviseur ! Elle se serre contre lui sensuellement, amoureusement…
- Et elle dit : « TéléMax, la chaîne de ma vie !... »
- TéléMax, la chaîne de ma vie ?...
- Au niveau subconscient, c’est hyper-interpellant : les liens du mariage, les chaînes…
- La part d’affect dans le rapport du téléspectateur à la chaîne arrive en seconde position dans les sondages !
- Une étude américaine prouve que 64,5 % des femmes entre trente-cinq et soixante ans préféreraient être privées de mari que privées de télé. »