Cette fois, le doute n’est plus permis, Torrentius est bien l’auteur de ces images scandaleuses. Étrange personnage qui signe une œuvre inavouable de ses propres initiales et use d’un pseudonyme pour vendre sa peinture. La psychanalyse aurait sans doute long à dire sur la question, mais au contraire du capitalisme qui fait, avec la Compagnie hollandaise des Indes orientales, des débuts très prometteurs, elle n’a pas encore été inventée.
Torrentius n'a jamais rencontré Velsaert et Velsaert ne le connaît que de réputation. L'antipathie entre les deux hommes est immédiate et rédhibitoire. C'est la rencontre du sanguin et du bilieux, de l'expansif et du constipé, du lion et du rat d'égout, monsieur de La Fontaine aurait pu en faire une fable, mais il n'est âgé que de six ans lorsqu'a lieu, à Haarlem, cette première audition où chacun déteste à l'instant ce qu'il perçoit de l'autre. Les bijoux voyants du peintre, les couleurs éclatantes de son pourpoint, la dentelle sophistiquée de sa fraise, ses cheveux longs et sa coiffure apprêtée épouvantent Velsaert autant qu'elles le révulsent. Ce n'est pas une question de bon ou de mauvais goût, c'est un rejet viscéral. Dans le monde étriqué de Velsaert, la couleur est péché, l'abondance condamnable. Torrentius, de son côté, ne manque pas d'observer le teint maladif du bailli, la nuance ivoire de la sclérotique, les pellicules qui poudrent à frimas le noir usé de son habit, ses lèvres pincées sur ses dents grises, son masque sévère. Cet homme a-t-il jamais ri de bon cœur une fois dans sa vie ? il est permis d'en douter.
Pour Valsaert, Torrentius est devenu, au fil des jours, la bête noire, l'homme à abattre. Avec patience, il tisse la toile dans laquelle il espère que le chatoyant papillon viendra s'engluer un jour. Assisté du jeune Ruyssler, lourd et dévoué comme un cheval de trait, et doté d'aussi peu de cervelle, le bailli collecte les plaintes, recueille les témoignages à charge.
Barbe et moustache sont peignées avec soin. À ses oreilles brillent des diamants, à ses doigts une émeraude, une améthyste, et plusieurs grenats sertis dans d'épais anneaux d'or. Il porte, sur un pourpoint de satin bicolore réhaussé de fils argentés, une fraise remarquable, moyen terme entre le modèle espagnol classique et celle que l'on appelle à confusion pour n'être point empesée. Brigby, vêtu lui-même d'un ensemble qui mélange subtilement le parme et l'orange brûlé se sent, face à cette apparition, tel un moineau à côté d'un paon.
Torrentius n’a jamais rencontré Velsaert et Velsaert ne le connaît que de réputation. L’antipathie entre les deux hommes est immédiate et rédhibitoire. C’est la rencontre du sanguin et du bilieux, de l’expansif et du constipé, du lion et du rat d’égout…
Repus et satisfaits, il s’en faut de peu qu’ils ne lui tapent sur le ventre ou sur les cuisses. Les trognes luisent, les dents brillent entre les lèvres grasses, on allume les pipes, on claque les fesses de la servante venue débarrasser.