Citations sur La bibliothèque du Docteur Lise (32)
Je ne peux pas supporter qu'un malade souffre tellement que son caractère en soit altéré et sa personnalité entamée. Je suis quand même très intéressée par le problème de la souffrance, ce que les gens sont capables de supporter, et je veux supprimer la douleur.
Tout le temps.
Un jour peut-être on aura vaincu le cancer, et la bibliothèque du Docteur Lise ressemblera à celle de tout le monde, une et soigneusement ordonnée. Elle n'aura plus besoin d'une armée de livres à sa rescousse. [Pour l'instant], un ensemble de titres élus mêlé au bazar de la vie, propre à ménager des surprises et composer avec le temps, c'est ainsi que le docteur Lise veut sa bibliothèque. [...] Livres éparpillés, prêtés-pas-rendus comme elle dit, bâillant au bord du fauteuil ou à plat ventre sur le radiateur de la salle de bains, livres aimés, librement humés, lus repris, dévorés, négligés, baladés des abords du lit aux profondeurs de la voiture, émergeant à l'hôpital ou chez des amis, passant du sac à main à la dernière marche de l'escalier en courtes piles, et si on en trouve un au jardin un soir d'été, dans la maison ils sont partout toute l'année, le nez dans la poussière, pleins de marques de doigts poisseux des innombrables goûters. (p.117-118)
Parce qu'un roman ce n'est pas seulement une histoire. Un grand roman, c'est parfois à peine une histoire. En ça je vous assure, la littérature m'assiste et ne cesse de me soutenir dans l'exercice de la médecine. Vous comprenez pourquoi Henri James a sa place parmi mes livres ? À cause de sa subtilité qui m'aide à entendre les gens.À côté de Tanizaki.
( p.153)
Il y a la guerre et il y a l'après-guerre, je dis.
On avait la médecine traumatique, et à dater de la Grande Guerre, la reconnaissance du traumatisme chez ceux qui sont passés par là, qu'ils aient été blessés ou pas.Georges Hyvernaud dépeint des gens brisés par la Seconde Guerre mondiale dans " Peau et les os".Des gens en pas bon état
Les privations nombreuses, à répétition, creusent une détresse sourde, forment une pathologie au bout du compte.Alfred Döblin montre ces phénomènes qui affectent le corps et tout l'être. Il était médecin militaire, et quel redoutable visionnaire.(...)
La médecine n'apparaît pas de façon significative dans les romans, Dõblin porte juste un regard extraordinaire sur les êtres.
( p.133)
Certains livres, dis-je communiquent une impression de courage, d'un monde généreux.
( p.110)
(* À propos d'Euguénia Guinsbourg)
Elle raconte dans les deux tomes du " Vertige" et dans " Le Ciel de la Kolyma" comment, malade, elle a été sauvée par un médecin qui l'a embauchée pour faire le ménage- c'est le départ. Je lis ce qu'elle a enduré, je n'aurais pas survécu, je le sais.Ces Russes internées dans les camps du pouvoir totalitaire, embarquées dans la folie destructrice de grands paranoïaques, des chefs détraqués, avaient derrière elles des années de bagarre, la guerre, la faim, une expérience de privation tous azimuts.Il y a quand même quelque chose d'angélique dans la médecine, de l'ordre d'un intérêt porté aux faibles (...)
( p.32)
Je pense à Varlam Chalamov, écrivain du goulag, enchaîne le docteur Lise.Je pense au moment où les livres l'ont abandonné. " Mes bibliothèques ", mince opus, décrit une régression provoquée par trop de misères accumulées. On perd les livres, on perd une part de son humanité, mais il en reste assez pour souffrir. En tout cas on perd la civilisation.
Chalamov va rencontrer un médecin du camp, et il retrouvera le goût des livres parce qu'elle comprendra, ce médecin, le grand besoin qu'il a de lire.Elle lui donnera un travail moins dur, qui laisse du temps.Habilité à balayer le dispensaire, au chaud, et à ramasser quelques restes à la cuisine, Chalamov sort peu à peu de la misère du camp pour redevenir un être humain à part entière, il est en quelque sorte ressuscité, et devient bientôt le plus précieux des aides- médecins.
( p.31)
"L'alcool, cataplasme sur la douleur, antidote illusoire au malheur, finit pas s'y confondre, à devenir la douleur-même, le pire des poisons."
"Les livres appellent les livres et les suivants. Les êtres se font signe d'une histoire à l'autre".
"Boudard raconte des horreurs sur son internement, les soins, mais il raconte à la française, sur un mode humoristique. En France, on dit des horreurs en rigolant, c'est la parade, l'élégance, ne pas peser."