Je me dis souvent qu'il ne faut jamais négliger les jolies choses, elles sont aux hommes ce que les points d'eau sont aux bêtes.
"Sort-on jamais de nos montagnes ?... C’est le travail de toute une vie".
Ma femme n'est plus que le compagnon d'une route sans âme, une distante collègue de l'existence.
"... Ma femme me laisse avoir deux vies. Une le jour et une la nuit. Elle se couche toujours plus tôt que moi, mais elle ne dit rien quand je reste encore éveillée trois ou quatre heures. Elle sait que c’est pendant ces moments-là que j’écris le plus et le mieux. Mais parfois, elle me demande de venir me coucher en même temps qu’elle, pour m’avoir à ses côtés quand elle s’évanouit dans le sommeil. Alors je le fais. Une fois qu’elle est endormie, je reste à côté d’elle, même si mon ordinateur me siffle de venir le nourrir de ce qui me passe par la tête. Quelque chose me dit que je suis plus utile contre son dos."
L’avenir m’a toujours effrayé. L’inconnu, l’incertitude sont des choses qui me font peur.
Ils sont là, dans ma bouche, nombreux. Ils sont prêts à sortir mais je ne sais pas pourquoi je suis incapable de les libérer. Je les garde comme un ruminant conserve longtemps la nourriture entre ses mâchoires, je les garde pour qu’ils finissent tout naturellement par fondre dans ma gorge. Je ne dis pratiquement rien, je suis quelqu’un de très silencieux. Ceux qui vivent avec moi s’en sont accommodés, cela ne les gêne plus. Parfois, j’entends des proches me suggérer que cela me ferait certainement du bien de dire ce que j’ai sur le cœur, ou ce que je pense, ou ce que je ressens. Il m’est arrivé de me laisser convaincre et de penser que, effectivement, s’exprimer était sans doute la meilleure des solutions pour se sentir plus léger, plus souple et faire corps avec les autres et la vie. J’ai essayé, plusieurs fois, mais je n’ai jamais réussi, ça s’est toujours passé de la même façon : j’ouvre la bouche, j’inspire comme quand on est sur le point de prendre la parole, et puis je la referme. Et toujours, cette phrase qui me traverse l’esprit : est-ce bien nécessaire ?
J’ai parfois la sensation de m’accrocher de plus en plus aux aspérités de la vie. Ce qui me paraissait comme insignifiant il y a trente ans me semble aujourd’hui lourd, laborieux. Jeune, je n’étais curieux de rien mais je m’émerveillais de tout ; aujourd’hui, si je suis curieux de bien des choses, pratiquement plus rien ne m’étonne. J’étais prêt à tout croire alors que, maintenant, je ne crois presque en plus rien. Avant, j’avais peu d’opinions mais je parlais beaucoup et, paradoxalement, depuis quelques années, plus mon jugement s’aiguise, se précise, s’affine, et plus je me tais. A vingt ans, je voulais rencontrer le plus d’hommes possible, à présent je n’aspire plus qu’à voir la terre et ses paysages
"... Pour un dimanche d’octobre il fait encore beau et doux, ils se disputent pour une histoire de projet de loi concernant une taxe à 1,3% sur l’épargne. Ils disent tous les trois qu’ils ont peur de l’avenir. Je les ai toujours entendus dire ça. Sans doute estiment-ils que je suis trop vieille pour me demander ce que j’en pense, alors je leur propose de se resservir une tasse de thé."