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Critique de Pujol


Pujol
16 décembre 2020
Je vais commencer par ce qui ne va pas et qui est malheureusement sous notre nez dès le départ : le titre "Marseille Confidential"et la jaquette qui mitraille un "Génial" signé de James Ellroy...

Pourquoi ? François Thomazeau est anglophone et en 2015, il est chargé par Plon d'accompagner James Ellroy dans son séjour à Marseille pour la promotion sudiste de "Perfidia". Lors de discussions entre eux, l'angelino lui confie et répète lors d'une conférence publique que si il avait été marseillais, il aurait écrit "Marseille Confidential".

François Thomazeau le prend au mot et accouche rapidement de ce livre qu'il portait en lui depuis longtemps d'après ses dires. L'auteur insiste sur le fait qu'il ne tente pas par là de faire un livre inspiré d'Ellroy mais PAR Ellroy puisque c'est lui qui a allumé la mèche de cette idée vénéneuse.

Derrière, Plon s'engouffre dans cette brèche commerciale béante et apprend à Ellroy que Thomazeau a relevé son défi. Celui-ci s'exclame alors "Fucking great !!". L'éditeur le supplie alors de pouvoir mettre cette tirade sur la jaquette d'où le "génial" tonitruant.

François Thomazeau semble un peu fatigué, pour ne pas dire autre chose, par cette histoire et confirme qu'Ellroy n'a jamais lu ce livre car "il s'en branle" et que "oui, c'est bel et bien un coup d'édition".

L'anglais de "confidential" sonne faux. La couverture qui arbore le canon et le viseur d'une mitraillette est assez convenue. On aurait peut-être pu arborer la silhouette de Notre-Dame-de-la- Garde dans l'oeilleton du viseur. Même pas. Aucun effort.

Bref, je trouve que c'est un peu grossier de la part de l'éditeur et presque mensonger puisque ce n'est qu'en apprenant l'histoire qu'on comprend le sens du titre. Mais ça, c'est après avoir acheté le livre.

Vous l'aurez donc compris, petit moustique alléché j'ai été attiré par les lueurs littéraires et la promesse Ellroyenne.

Bien m'en a pris puisque je découvre l'auteur François Thomazeau et un livre qui m'a régalé.

Il éclaire de manière assez précise l'histoire marseillaise des années 30.

Nous sommes au coeur du "Marseille ? c'est compliqué". Ce n'est pas nouveau. J'en conviens.

Mais ce qui est redondant aussi, c'est cette maladie marseillaise bien typique qui fait que l'on connaît la maladie, qu'on la déplore dans nos discussions, mais qu'on ne se lasse pas de se renseigner sur le virus.

Mais pas comme des médecins. Plutôt comme des pervers masochistes qui souffrent mais qui n'osent pas avouer qu'ils y ont pris goût et qu'ils aiment se rouler dans la merde qu'on leur jette à la figure.

-"Oui, nous sommes sales, oui nous sommes violents et oui on vous pisse au cul !!"

Une vraie pathologie donc.

On entre dans ce roman par un biais inattendu : l'âme damnée d'Antoine Cardella coincée entre l'ici et l'au-delà, flic pourri ou "marron" qui rendait des "services" à tout ce que Marseille comptait de bandits et d'hommes politiques véreux. Les uns et les autres se confondant dans un marécage boueux et méridional.

Antoine ne va pas fort. Son dos vient de découvrir, assez brutalement, quelle était la formule chimique du plomb soit Pb et son numéro atomique. Ce cours de rattrapage a eu lieu avenue Camille Pelletan, peu de jours avant des élections municipales à hauts risque. Nous sommes en 1936.

C'est l'incipit. Une balle entre les omoplates pour une bordille. Entre la permanence du candidat socialiste, Ferri-Pisani, et du candidat nationalo-fasciste Simon Sabiani.

Le thème de l'entre-deux va être l'objet de ce livre. Cardella n'est qu'une brique d'un édifice marseillais où les seules lignes droites sont celles des caveaux.

L'enquête de l'inspecteur Grimal va bien révéler à quel point tout se brouille dans cette ville dans une aquarelle baveuse et grise : la violence, le milieu et la politique qui ne font qu'un, la corruption qui oscille entre lâcheté et instinct de survie.

Pichotte, le journaliste du "Petit Parisien" vient lui aussi apporter sa touche au tableau, lui qui avait couvert 18 mois auparavant l'assassinat du Prince Alexandre de Serbie et de Louis Barthou au beau milieu de la Canebière. Il est le témoin externe, le spectateur du théâtre terrible qui a lieu dans cette ville. Brutalité, tension, rapports de forces, coups de feu.

Il assiste médusé, au meeting de Simon Sabiani, Place Marceau et aux tirs qui éclatent parmi la foule venue assister à l'évènement. Communistes et partisans de Sabiani montrent les muscles en mimant la guerre. Interdit devant ce ballet hallucinant, il prend la température de la rue, bouillante et fébrile.

Théroz le gavot, inspecteur en chef de la Mondaine, est lui comme un poisson dans l'eau dans les rues du Panier ; à surveiller les activités horizontales et tarifées des maquereaux luisants. Il tente de retrouver la trace de Cardella entre la rue du Refuge et la Place de Lorette, la bien-nommée.

Cardella, dégoûté de la ville et de lui-même a voulu résister "ab absurdum".Le but étant de pousser le curseur de la compromission au maximum en mangeant avec une avidité morbide à tous les rateliers, sabianistes, socialistes. Une indigestion. Faire tomber l'arbre en accélérant la pourriture ambiante. Un suicide par avilissement. Un jusqu'au boutisme désespéré. Se perdre totalement pour se punir et tenter de mettre un joli bordel comme départ en fanfare.

On apprend beaucoup sur cette période charnière de l'avant-guerre qui porte les graines du Marseille actuel des encartages et des collusions, des factions. C'est ici la préhistoire de l'aquoibonisme phocéen et du mantra du "c'est comme ça".

L'enquête, comme souvent sert de prétexte à une visite sociologique et politique de la ville dans ces années 30 périlleuses. C'est très bien fait, très documenté, très riche. François Thomazeau évite le piège de tomber dans le documentaire grâce à une galerie de personnages bien dessinés qui tiennent les murs de ce roman de belle façon.

Et je dois dire que l'on a envie de les retrouver, car l'auteur a réussi à dévoiler habilement des éléments biographiques suffisants pour nous les faire apprécier tout en nous laissant entrevoir des jachères suffisantes pour une suite ou un antécédent.

On s'en réjouit car l'auteur espère une trilogie qui irait jusqu'à la Guerre d'Indochine.

Je ne vais pas me lancer dans les méandres historiques que mettent à jour ce roman, ni dans l'intrigue policière.

Je vais seulement vous dire ceci : François Thomazeau a eu une vraie belle idée narrative avec ce Cardella coincé entre la vie et le trépas. Cette ambiguïté va permettre à cet homme en partance de revenir régulièrement vers son village corse dans des va-et-vient hallucinés.

Tout d'abord car le "retour au village" touche à l'identité corse, même la plus diluée, la plus infime. C'est un lieu-commun de la culture insulaire dira-t-on mais qui garde sa force et sa réalité.Thomazeau a rendu ce voyage rêvé d'Antoine Cardella vers Zecavo d'une manière très fine et émouvante. Je l'ai vécu comme une respiration au milieu de la décrépitude de ce monde.

Et comme notre homme est malin, (je parle de l'auteur) cette figure du voyage imaginaire permet aussi de souligner un des points importants de cette histoire : le lien avec la Corse. le transit incessant entre l'île et le Continent. La pendule des hommes. Qui partent et reviennent.

Je n'en dis pas plus.

Antoine Cardella m'a bouleversé dans son extrémité. Il ne ment pas. Il assume sa bassesse et l'embrasse, en fait un brasier pour incendier le trou puant où les rats se terrent, déguisés en moutons ou en loups.

Quand un pourri a plus d'honneur que ceux qui s'affichent comme des purs.

Addiu Antoine.

Pour finir, deux citations de François Thomazeau à propos de Marseille et de ce livre dans une interview pour "Milieu Hostile".

C'est impossible d'être manichéen à Marseille. Surtout à cette époque. J'ai toujours pensé que le noir devait avant tout être un dégradé de gris. Je pense sincèrement que nous sommes tous pourris. Mais en même temps tous humains. Ça va de pair. Et à Marseille dans les années 1930, la pourriture et l'humanité cohabitaient, vivaient côte à côte, la main dans la main.

C'est assez paradoxal, mais en effet, il y a un lourd fatalisme ici, une capacité à accepter l'inacceptable et en même temps une grande violence sous-jacente. Elle est moins là pour changer le monde que pour se l'approprier. Les Marseillais sont des révoltés – cf La Marseillaise et la Révolution française – ils ont eu leur Commune de Marseille en même temps que la Commune de Paris, mais l'idée était moins de changer les choses que d'être maîtres de leur destin. Je crois qu'il y a à Marseille des luttes de pouvoir et des jeux de domination perpétuels, mais dans un tout petit périmètre. On se dispute d'autant plus violemment le gâteau qu'il est petit.
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