La traversée

S'il fallait se taire, elle se tairait

"Celui qui sème la terreur est lui même en permanence dans la peur"
Claudius Claudianus

Sekou était vexé qu’on l’ait placé avec les femmes et les enfants. Du haut de ses huit ans, il se sentait un homme à part entière et ne comprenait pas pourquoi il n’était pas détenu de l’autre côté du campement. Il était arrivé un mois plus tôt avec sa tante, qui l’avait recueilli à la mort de ses parents. Ils avaient été tués par les milices du Nord qui luttaient pour prendre le contrôle du pays.

A présent, les survivants dérivaient dans une direction inconnue. Seul le clapotis des vagues contre l'épave troublait le silence saisissant de l'immensité qui les entourait.

Dans l'obscurité, Sam évalua le nombre de rescapés sur la coque à une trentaine.

Ils devaient être autant dans l'eau, accrochés pour ne pas couler. Une soixantaine.

Un peu plus de la moitié de leur effectif au départ. La gorge de Sam se serra, empêchant le rugissement de sa colère d'interpeller le ciel.

”Vous n’êtes pas ici pour aujourd’hui, glissa Samory, mais pour demain”. Thiane vint à son tour près de lui. Avec mille précautions, elle essuya les gouttes de sueur qui perlaient sur son front.
- ”Et si demain n’arrivait jamais? grimaça t-elle”.
- ”Aie confiance, l’exhorta-t-il”.
Elle posa sur lui un regard plein de compassion, qui lui fit mal. Dans ses yeux, il lut à quel point ses traits étaient ravagés. Vêtu de loques, amaigri, il doutait d’appartenir au monde des vivants.

Thiane imagina le flot de sentiments qui le traversaient. Désormais, il ne pouvait plus reculer. Il était né une première fois dix-sept ou dix-huit ans plus tôt et considérait ce jour comme celui d'une seconde naissance. Il avait tiré un trait pour isoler le passé et se tourner résolument vers l'avenir. Ce jour, il l'attendait depuis des mois. Mais il avait beau l'avoir désiré de tout son être, à cet instant précis ses certitudes vacillaient.
C'était exactement ce que Thiane avait ressenti quand le pick-up avait démarré et quitté les abords de son village.

« Sam refusait cette vie misérable. Pouvait-elle l'en blâmer ? Il rêvait d'un avenir meilleur. Un avenir. Un vrai. Pas une illusion. Pour lui, et pour ses futurs enfants »
(p.29)

« Les Occidentaux ne veulent pas de vous ! rétorqua un gardien qui effectuait sa ronde de l’autre côté du grillage. Leurs gouvernements nous payent pour qu’on vous interne ici ! Alors, tant qu’ils payeront nous vous garderons dans ces camps. »

J’ai choisi ce passage car ils nous montre l’inhumanité des passeurs qui enferment les migrants dans des camps et les rackettent pour les faire partir en Europe.

« Si tu veux avoir une chance de t’en sortir, pense égoïste et agis égoïste » (page 114) « Tu t’imaginais quoi ? Que les groupes de migrants forment une communauté soudée ? » (page 113) « Tu es seul. Mets-toi bien ça dans la tête » (page 113)
Ces extraits sont des paroles qu’adresse Kenjo à Sam. Ces paroles sont méchantes, décourageantes pour Sam, il n’a pas le même esprit que les autres, les autres sont prêt à s’écraser entre eux alors que Sam aide ceux qu’il peut. Ces extraits sont surement ce qui se passe dans la réalité, ça prouve que pour traverser c’est chacun pour soi, c’est triste que ces personnes soient obligées d’avoir cette idée et cette mentalité de l’autre pour avoir ce qu’ils veulent.

Mon passage préféré est le suivant car ils montrent la solidarité des personnages alors qu’ils sont dans une situation difficile :
« Samory puisa au plus profond de lui-même la force de poursuivre.
-Si vous avez quitté vos familles, c’est parceque vous n’aviez plus foi en l’avenir, reprit-il. Mais viendra le jour où vous laisserez cette cave derrière vous pour prendre la mer.
-Nous ne t’abandonnerons pas, promit Thiane.
Samory sourit, avec l’espoir que son sourire ne ressemblait pas à un rictus de douleur.
-Ne dis pas n’importe quoi, lâcha-t-il dans un souffle. Je sais très bien ce qui m’attend.
Samory ferma les yeux. Quand il les rouvrit, Thiane s’était penchée sur lui. A présent, il sentait sa respiration sur sa joue, ses cheveux sur son bras.
-Vous êtes mon avenir, articula-t-il. En témoignant de l’autre côté de la Méditerranée, peut-être parviendrez-vous à convaincre les Européens d’agir pour ceux qui, comme moi, ne peuvent accéder aux soins. Ils doivent savoir qu’on nous laisse crever pire que des chiens.
Thiane se tourna vers Sam, qui acquiesça.
-Je te le promets, jura-t-il. Et nous trouverons un moyen de te soigner. »