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Critique de PatriceG


La Sonate à Kreutzer (1889)
J'ai lu quelque part que La Sonate pouvait être une suite du Bonheur conjugal, sauf que, sauf que plus de 30 ans les séparent. On sait que Tolstoï avait répudié le Bonheur conjugal, oeuvre de jeunesse, puisque bâtie sur des chimères amoureuses avant mariage (pour l'auteur) ayant pour but de distraire les hommes et que la Sonate qui reste une oeuvre profondément fictionnelle est une véritable diatribe contre l'institution du mariage, pour l'abstinence dans le monde tel qu'il est, ayant pour but de sortir du mensonge ambiant et que les affaires du couple sont une chose éminemment sérieuse ; il revendiquera cette oeuvre puisque 1 an après sa parution qui fit l'objet de la censure impériale il concevra une postface non seulement pour appuyer sa pensée mais pour corriger un sens dévoyé qu'une certaine critique donnait à l'oeuvre, assortie de commentaires imbéciles à dormir debout. Heureusement que Léon Tolstoï s'appliquait déjà depuis les années 70 à écrire limpidement à l'attention du peuple, bien que les quelques ennuis de circonstance ne vinssent pas de là non plus !..

Est-ce qu'une oeuvre revendiquée ou pas, répudiée ou pas par l'auteur a de l'importance : en tout cas pas plus que ça chez un artiste comme Tolstoï. Il s'est même permis d'envoyer aux pelotes son chef d'oeuvre Anna karénine une fois achevé et même un petit peu avant, et puis même surtout: est-ce qu'on lui a beaucoup demandé de son vivant quel était l' intérêt que lui portait à son oeuvre, autrement dit son avis ? Pas des masses, il avait son propre sentiment à chaud, comme ça, qui avait au moins le mérite de couper l'herbe sous le pied de la critique dont il se fichait éperdûment d'ailleurs. Il n'était pas du genre à se prendre la tête parce qu'un quidam ridicule osa persifler tel volet de son oeuvre ! Ca arrivait peu en fait parce qu'on n'ose pas toucher aux monuments si on ne veut pas aggraver son cas . Les auteurs ont leur intime conviction sur la qualité de leur oeuvre, on serait surpris de parfois la connaître, mais ici rien de tout ça. On est au dessus de la mêlée ! Ils sont bien gentils tous ceux qui disent qu'il faille séparer l'homme de l'oeuvre, mais pour ce qui est de critiquer l'homme ils sont toujours là et de trop !

Oui en 30 ans, Tolstoï modifia sensiblement sa perception des choses en devenant résolument radical contre le régime impérial puisque les Tsars à tour de rôle n'infléchissaient pas leurs méthodes vis-à-vis du peuple misérable et affamé. Contrairement à d'autres de son âge, il ne s'assagira pas en vieillissant, mais parce que la conjoncture aussi n'allait pas dans le bon sens : trop d'arc-boutements par rapport à la réforme qu'il appelait de ses voeux et qui ne vint jamais véritablement.

Tolstoï sait de quoi il parle -une fois de plus -, puisqu'il a connu la débauche suivie d'une période de seuvrage bordée de bonnes intentions, de bonnes résolutions aussi puisque notamment un mariage va avoir lieu avec Sonia qui va les occuper pendant près d'un demi-siècle ; qu'il a vu de près les ravages d'une société corrompue aussi bien à la ville qu'en province . Mais il y a aussi dans la Sonate un vrai défi lancé à lui-même ou à l'artiste comme on voudra, il veut se prouver qu'il est capable quand il veut, où il veut de produire une bombe littéraire de premier plan et qu'il ne saurait être question pour l'animal d'iasnaïa Poliana de se reposer sur ses lauriers après ses monuments que sont Guerre et Paix et Anna Karénine, une oeuvre d'amour-propre en quelque sorte, sans commune mesure avec les prétendus élans de misogynie qu'on lui attribue à tort à mon sens. Vu les retentissements de cette oeuvre au delà de la Russie impériale, on peut dire qu'il a pas mal réussi son pari à faire parler de lui, et de lui pour l'artiste qu'il sera toujours !

La Sonate est une oeuvre moderne en ce sens qu'elle traverse les clivages de la société qui se perpétuent au fil des siècles avec plus ou moins d'inflexions, qu'elle pose des questions sociétales profondes, sans frontières, non datées.

Entre ces deux oeuvres, peut-on dire que Tolstoï soit devenu moins romanesque, plus réaliste, plus vindicatif, moins intimiste : est-ce qu'on change tant que ça dans le fond ? surtout lui qui était capable d'entrer sous plusieurs peaux au cours d'une même journée ? seules les priorités changent, la manière de les exprimer, effets d'une conscience renforcée du monde des humains, mais Résurrection, Hadji Mourat qui suivront viendront atténuer cette dimension foncière. Une vie c'est le grand livre dont parlait Jankélévitch !
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